- LES JUIFS EN AFRIQUE DU NORD ET A ORAN
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- Depuis les temps les plus anciens, depuis Carthage jusqu'à
la France, les juifs sont présents en Afrique du Nord.
Une tradition orale du Hoggar, prétend que les juifs seraient
à l'origine de l'artisanat du fer dans cette partie du
monde.
Mais ce qui est certain, c'est que des colons issus des tribus
d'Israël se sont installés avec les fondateurs de
Carthage, à coté de Tunis. Ne disait-on pas Karta
Hadacha, Carthage la juive ?
- Selon Flavius Josèphe, lors de l'invasion de la Palestine
par Ptolémée I, en -301, ce sont cent mille juifs
qui seraient passés en Cyrénaïque et en Afrique
du Nord.
Puis, de 100 à 180, c'est l'immigration massive des juifs
de Cyrénaïque et d'Egypte. Plusieurs inscriptions
juives sont retrouvées à Cirta (Constantine), près
de Sétif et à Auzia (Aumale).
Au 3ème siècle, il existe une synagogue à
Sétif et au 4ème siècle une autre à
Tipasa.
- Au début de la domination arabe, les juifs sont implantés
au long des grandes voies commerciales, dans les ports, sur les
routes caravanières drainant le commerce de l'Europe et
de l'Asie, sur les routes permettant le commerce avec l'Afrique
Noire et enfin dans les grandes oasis du Sahara comme Segelmesse,
Ghardaïa, Biskra, Ouargla.
Aux langues d'origine, l'Hébreu et l'Araméen, les
juifs ont ajouté peu à peu, l'arabe, le berbère,
l'espagnol et plus récemment le français ou l'italien.
Ils ont créé une langue, le judéo-arabe,
qui leur a longtemps servi dans la vie courante.
Mais l'hébreu est toujours restée la langue employée
dans la prière synagogale et dans l'étude des textes
anciens et de la Thora.
- En mai 429, les Vandales, établis en Espagne depuis
406, décident de conquérir l'Afrique romaine. Ils
s'embarquent à Tarifa, Espagne, et par Oran, se dirigent
vers la riche Numidie (la petite Kabylie). Après la campagne
d'Italie, en 455, Genséric ramène dans son butin,
entre autres objets précieux, les dépouilles du
temple de Jérusalem, rapportées à Rome par
Titus après 70. Un siècle plus tard, ces précieuses
reliques seront ramenées à Byzance par Bélisaire,
général de l'empereur Justinien, et vainqueur des
Vandales.
- De la longue domination romaine, rien ne subsistera. L'Algérie
médiévale fut islamisée et arabisée.
Dès 645, les Arabes font irruption en Afrique du Nord.
Les Berbères dirigés par la Kahéna pratiquaient
la religion hébraïque. Reine, générale
et sorcière, son prestige était immense. Pendant
cinq ans, elle parvint à repousser les arabes puis le
sort tourna. Elle fut tuée vers 698 et ses tribus se convertirent
à l'islam.
- Les Almoravides, dynastie berbère, conquirent ensuite
le Maghreb occidental : Tlemcen, Oran, Ténès, et
Alger en 1082. Les juifs n'eurent pas à souffrir de cette
occupation mais il n'en fut pas de même avec l'arrivée
des Almohades. Conduits par Abd El Moumin, ceux-ci ne laissèrent
aux juifs d'autre choix que l'Islam ou la mort. Nombreux seront
ceux qui choisiront la conversion et attendront parfois plusieurs
générations pour leur retour au judaïsme.
A cette époque, il existe une communauté structurée
à Constantine, Béjaia (Bougie), Alger, Ténès,
Mostaganem, Oran, Tlemcen, Ouargla, Touggourt, Biskra.
Les Almohades sont remplacés par les Mérinides
mais le sort des juifs n'est pas amélioré pour
autant. Selon certains témoignages, il n'existerait plus
en 1220 aucune synagogue dans toute l'étendue du territoire.
Quelques communautés subsistent tant bien que mal, faisant
les frais d'émeutes sporadiques. Les Mérinides
se maintiendront jusqu'en 1437.
- La création d'Alger remonte aux Phéniciens
: c'est Icosium, un petit port fortifié où les
juifs s'installent au 3ème siècle, qui s'agrandit
et deviendra El Djézaïr au Xème siècle.
En 1516, El Djezaïr est sous l'autorité de l'empire
ottoman. Les juifs livournais ou juifs francs, s'y installent
; ils vont régenter les activités économiques
des 15 000 juifs de la ville.
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- A Oran, en 1220, la situation des juifs est à ce
point précaire qu'il n'existe plus de synagogue officielle.
- Il ne subsiste qu'une petite communauté qui fait les
frais de chaque montée de fièvre. En 1287, un premier
groupe de juifs de Majorque arrive à Oran après
la conquête de l'île par Jacques 1er d'Aragon.
- Le 30 mars 1492, Ferdinand d'Espagne décide que le
30 juillet suivant, il ne devra plus rester un seul juif dans
leur royaume d'Aragon et de Castille ainsi que dans les îles
de Sicile et de Sardaigne.
Le 31 juillet 1492, 200 000 personnes s'expatrient dont un millier
vers le Maghreb ; Oran en recevra la plus grande part.
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- Ces juifs espagnols s'installent à Fès, Meknès,
Marrakech, Debdou, Tanger, Tétouan, Salé, Arzila,
Larrache, Rabat, Safi, Tlemcen et Oran. Leur arrivée ne
se fait pas sans heurts ; ces nouveaux venus amènent avec
eux une civilisation, une mentalité et des connaissances
différentes de celles du milieu autochtone. Cependant,
les sages des deux parties ont à cur de maintenir
l'unité.
- Les Espagnols occupent Oran jusqu'en 1708. Harcelés
de toutes parts par les arabes d'alentours, ils en font une ville
fortifiée. L'isolement de la ville, fait que le pouvoir
de Philippe II est amoindri et une certaine tolérance
vis-à-vis des juifs est d'abord instaurée : Ils
sont les intermédiaires entre les chrétiens et
les musulmans ; ils sont négociants et contrôlent
l'approvisionnement de la garnison ; ils écoulent le butin
provenant des razzias espagnoles. Ils occupent aussi les métiers
traditionnels tels que teinturiers, cordonniers ou orfèvres.
Enfin, avec la connaissance qu'ils ont, ils vont acquérir
des positions importantes comme interprètes officiels
ou agents de renseignements, tels Jacob Cansino ou le célèbre
rabbin Jacob Sasportas.
- La population juive vit dans un quartier séparé
du quartier espagnol, entouré de murailles et gardé
par des soldats en armes.
Les femmes ne sortent qu'en de rares occasions ; elles ont une
réputation de réserve et d'honnêteté.
Les plats du Shabbat sont portés au four public des chrétiens
par des esclaves arabes. Les juifs ont l'obligation de rester
enfermés dans leur quartier pendant la semaine dite sainte
; ils ont l'interdiction d'agrandir leur synagogue et celle de
prier trop fort.
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- Cette situation relativement favorable va susciter des attaques,
les brimades reprennent et le 31 mars 1668, un arrêt d'expulsion
est prononcé.
Le rabbin Aaron Siboni raconte que le 16 avril, premier jour
de Pessah, un orage providentiel oblige le bateau transportant
les juifs bannis à revenir dans la rade de Mers el-Kébir.
Mais le 22 avril, 466 juifs se disperseront dans les villes de
Livourne, Villefranche et Nice.
- De 1708 à 1732, la ville passe aux mains des turcs,
les juifs reviennent nombreux. Ils sont autorisés à
construire une nouvelle synagogue ; ils pratiquent librement
leur religion et s'organisent en juridiction autonome.
Ils deviennent suffisamment nombreux et importants pour avoir
leurs propres dayanim (juges rabbiniques) qui sont successivement
: Joseph Chouchana, Isaac Chouraqui et Moïse Israël.
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- De 1735 à 1738, les Espagnols reconquirent Oran et
les juifs sont de nouveau expulsés. Ils s'exilent vers
Tlemcen ou Mascara. Seuls quelques-uns comme Moïse Delmas,
David Soliman ou Jacob Cohen-Solal restent dans la ville et rendent
leur présence suffisamment indispensable pour qu'en 1734,
les Juifs soient officiellement invités à se réinstaller
dans la ville.
1792 marque la naissance d'une nouvelle communauté juive
à Oran ; elle ne connaîtra plus ni arrachement,
ni exil avant 1962.
- Le tremblement de terre en 1791, puis une épidémie
de peste en 1794, rendent la ville pratiquement déserte.
Afin de la repeupler, le Bey distribue à bas prix des
terrains situés entre le Château-Neuf et le Fort
Saint André, le long du rempart Est, dans la ville haute,
à des juifs venus de Nedroma, Mostaganem, Tlemcen et Mascara.
Il concède, également gratuitement, un terrain
pour leur cimetière.
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- A l'arrivée des Français, la population
musulmane, impuissante à lutter par les armes, rend les
juifs responsables de la capitulation et décide de se
livrer au pillage et au massacre de toute la communauté
avant de fuir la ville.
Selon la tradition, les juifs se réunissent alors dans
les synagogues pour une nuit de prières. Le lendemain,
les musulmans ont quitté la ville, chassés par
la nouvelle de l'arrivée imminente des français.
Le 6 Av, date de cet événement, est considéré
comme jour de fête : c'est le
Pourim d'Oran. Le Rabbin Messaoud Darmon compose pour
la circonstance un hymne en vers : ce poème sera lu dans
toutes les synagogues d'Oran, tous les Shabbat précédant
le 6 Av.
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- En 1832, le recensement indique que pour une population de
3 800 habitants, 2 800 israélites vivent à Oran.
- En 1843, la population juive est de 4 287 personnes et en
1850 elle est passée à 5 073 âmes.
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- En 1859, l'Espagne déclare la guerre au Maroc. 4 000
juifs de Tétouan et d'autres ports marocains, se réfugient
à Gibraltar qui organise l'immigration de ces juifs vers
Oran. La crise passée, la réussite économique
et le climat de liberté que représente pour eux
la France, les retiendront en Oranie.
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- Le 14 juillet 1865, Napoléon III signe le " senatus
consulte " sur la naturalisation, qui frappe de nationalité
française les israélites et les musulmans qui le
désirent. Quelques grandes familles vont en bénéficier,
mais malgré les appels pressants des notables israélites
à la population juive, plus préoccupée par
sa survie, très peu solliciteront cette naturalisation.
Le 24 octobre 1870, le décret Crémieux accorde
la nationalisation collective : " les israélites,
indigènes des départements d'Algérie, sont
déclarés citoyens français ; en conséquence,
leur statut réel et leur statut personnel seront à
compter de la promulgation du présent décret, réglés
par la loi française. "
Au total, 34 574 israélites devinrent citoyens français
par ce décret. Au recensement de 1866, les juifs représentaient
13,5% de la population musulmane d'Algérie.
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- Les Juifs d'Oran et d'Algérie devront affronter d'autres
grandes crises : La crise anti-juive dans les années 1892-1902,
un nouvel antisémitisme avec le Dr Molle et l'abbé
Lambert entre 1925 et 1939 que la loi du 21 avril 1939, réprimant
les excitations à la haine raciale fait cesser et surtout
les années Pétain et les lois raciales, et enfin
l'exode de 1962.
Mais ceci est une autre histoire.
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- Texte
condensé et remis en forme par Edgard Attias,
d'après un texte original de Mireille Attias, que l'on
peut consulter ici : www.cerclealgerianiste.asso.fr/contenu/afn300.htm
Mireille ATTIAS est la vice-présidente du Cercle algérianiste
de Drôme-Ardèche.
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