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Les derniers mois de lAlgérie française ont été marqués à Oran par une explosion de violences sans précédents, assassinats par arme à feu ou arme blanche, lynchages, destructions par plasticage ou incendie. Ce fut le règne de la haine et de la peur, enfin le « sauve-qui-peut » des pieds-noirs qui, entre avril et août 1962, gagnèrent en masse la métropole. Pendant les premières années du conflit, la ville était demeurée parfaitement calme. Ses habitants avaient quelques raisons dêtre optimistes : la population y était en majorité « européenne », et Oran avait une telle importance stratégique du fait de sa proximité avec la base navale de Mers-El-Kébir que les Oranais pensaient quaucun gouvernement français naccepterait de sen séparer : dans lhypothèse dune Algérie indépendante, la France conserverait une enclave incluant Oran et Mers-El-Kébir. Le passage du calme aux violences sest effectué en février 1961, vraisemblablement sur décision du FLN* qui avait réussi à infiltrer la population arabe de la ville. Ce terrorisme urbain visant les Européens fut rapidement suivi du contre-terrorisme de lOAS** qui venait dêtre créée, contre-terrorisme sen prenant notamment aux Arabes travaillant dans la ville européenne. La terreur quotidienne Le mode opératoire des tueurs du FLN était univoque : une grenade lancée sur un marché ou sur la terrasse dun café ; lauteur disparaissait à la faveur de la panique générale ; nous nétions pas encore à lère des kamikazes. Du côté de lOAS, les cibles étaient multiples. Le directeur dune fabrique de conserves employait dans son entreprise six salariés arabes. Un après-midi, lusine fut encerclée par un groupe de jeunes gens qui attendaient la sortie des « bougnoules » pour les agresser. Après plusieurs heures dinquiétude, le chef de lentreprise sortit par surprise à bord dune camionnette où se dissimulaient ses employés. A distance, il confia la voiture à lun des fugitifs, et cela sans espoir de récupérer le véhicule. Par la suite, lusine fut lobjet dune tentative dincendie. Exemple illustrant le climat dinsécurité de lépoque, parmi dautres infiniment plus terrifiants, et dont le résultat fut dinterdire certains quartiers aux Arabes. Les cibles de lOAS étaient le plus souvent les indigènes, désignées par leur faciès, mais des « Européens » furent aussi les victimes de leurs commandos, tel ce couple dont le fils avait exprimé des idées en faveur dune Algérie algérienne, et qui fut égorgé à son domicile. LOAS sattaquait aussi à ceux qui pouvaient avoir surpris une livraison darmes. Les barbouzes, agents de la DST*** étaient liquidés lorsqu ils étaient identifiés. Dans les dernières semaines de lAlgérie française lOAS pratiqua une politique de la terre brûlée, par exemple en mettant le feu aux gigantesques cuves du port dOran le 25 juin 1962.
La position de la communauté juive : Une communauté unanime ou presque.
Dans son immense majorité, la communauté juive réagit comme la plupart des « pieds-noirs ». Les Juifs dAlgérie étaient des citoyens français vivant dans un département français, ils croyaient en lAlgérie française. Ils étaient révulsés par lhorreur du terrorisme arabe. Lindignation fut à son comble après les attaques du FLN contre des rabbins, des synagogues, les quartiers juifs de Mostaganem et de Constantine. Ces attentats hautement symboliques annonçaient que les Juifs nauraient pas leur place dans la nation algérienne. Dans ce contexte, certains Juifs sengageront dans les rangs de lOAS et participeront activement au contre-terrorisme à Oran. Une réunion secrète à la grande synagogue Dans les locaux de la grande synagogue dOran se tint en mai 1961 une réunion secrète à laquelle assistaient une vingtaine de notables dOran et de villes de lintérieur. Selon le dirigeant de la communauté qui prit la parole, au cours de négociations entre le FLN et le gouvernement français, la communauté juive était lobjet dun marchandage, dun enjeu politique : les représentants des insurgés souhaitaient que la nationalité française fut retirée aux Juifs dAlgérie, ce qui permettrait leur « intégration » future dans lEtat algérien, désireux de sapproprier leur poids économique ; en fait les Juifs seraient devenus des citoyens de seconde zone, des otages apatrides, des Juifs en terre dIslam dotés du statut de dhimmis, une minorité corvéable à merci, comme dans les autres pays musulmans. Cette proposition, assortie de la promesse que la France serait un client privilégié dans les fournitures de pétrole, aurait été rejetée par les négociateurs français. Le même responsable, au cours de cette réunion secrète, incita les Juifs à quitter lAlgérie le plus tôt possible. Cette incitation au départ, (discrètement transmise à la communauté, car aux yeux de lOAS, il sagissait dune trahison), ne fut pas suivie deffet, alors même que saggravait de jour en jour le climat de terreur, symbolisé par les graffitis maculant les murs de la ville « La valise ou le cercueil ». LOAS sopposait de toutes ses forces à ce quelle considérait comme une désertion.. Malgré cela, quelques uns partirent, clandestinement, de nuit, tandis que la majorité ne le fera quentre avril et août 1962, comme la plupart des « rapatriés ». Parmi ceux qui sont restés, il y a eu ceux dont létat de santé ne permettait pas un tel voyage : ce fut le cas de ma grandmère maternelle, qui devait mourir à Sidi-Bel-Abbès en labsence des siens, peu de temps après leur départ pour la métropole. Lexode ne fut possible que lorsque tout espoir de demeurer en Algérie fut perdu, et que lOAS eut autorisé les départs. Ce fut alors la ruée vers laéroport de La Sénia et les bateaux qui multiplièrent les allers retours entre Oran et les ports français de la Méditerranée, sans pouvoir répondre totalement à la demande avant la proclamation de lindépendance de lAlgérie, annoncée pour le 5 juillet 1962. Certaines familles candidates au départ ont attendre plusieurs jours dans des conditions pénibles, sur les quais du port ou dans les locaux de laéroport, avant dembarquer (Figure 2).
Le massacre du 5 juillet 1962 Ni le cessez-le-feu, ni la reconnaissance de lindépendance de lAlgérie ne mettront un terme aux violences. Ainsi le massacre du 5 juillet 1962, ou massacre d'Oran, se produisit plus de trois mois après le cessez-le-feu, deux jours après la reconnaissance par la France de lindépendance, le jour-même de sa proclamation, le 5 juillet 1962. Il a été le fait dune foule déchaînée à lencontre de civils européens (plusieurs centaines de morts et plus de mille disparus). Larmée française, respectant les ordres, attendit de longues heures dans ses casernes avant de faire cesser le carnage. Ces faits donnent une idée du chaos qui régnait à Oran en cette période où lon pouvait tuer en toute impunité. Mais seuls les travaux dhistoriens permettraient de décrire la situation de façon exhaustive, ce qui supposerait le recueil de multiples témoignages auprès des «rapatriés », de membres de lOAS, de lALN****, ainsi que laccès aux archives de ladministration française et des négociations dEvian. Mais il est sans doute trop tôt : un tel ouvrage - une sorte de livre noir de la guerre dAlgérie -, ne manquerait pas de soulever des controverses et de rouvrir les plaies, non encore cicatrisées, de ceux qui ont vécu ce drame. Les confidences de mes amis ont été faites avec gravité: le souvenir des exactions du FLN et de lOAS est encore vivace et le demeurera à jamais.
Notes
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