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Oran : Les derniers mois de l'Algérie française
vécus par les Oranais (mai 1961-juin 1962)
 
Paul Benaïm pour Guysen International News - 25 septembre 2011
 

 

Les derniers mois de l’Algérie française ont été marqués à Oran par une explosion de violences sans précédents, assassinats par arme à feu ou arme blanche, lynchages, destructions par plasticage ou incendie. Ce fut le règne de la haine et de la peur, enfin le « sauve-qui-peut » des pieds-noirs qui, entre avril et août 1962, gagnèrent en masse la métropole.

Pendant les premières années du conflit, la ville était demeurée parfaitement calme. Ses habitants avaient quelques raisons d’être optimistes : la population y était en majorité « européenne », et Oran avait une telle importance stratégique du fait de sa proximité avec la base navale de Mers-El-Kébir que les Oranais pensaient qu’aucun gouvernement français n’accepterait de s’en séparer : dans l’hypothèse d’une Algérie indépendante, la France conserverait une enclave incluant Oran et Mers-El-Kébir.

Le passage du calme aux violences s’est effectué en février 1961, vraisemblablement sur décision du FLN* qui avait réussi à infiltrer la population arabe de la ville. Ce terrorisme urbain visant les Européens fut rapidement suivi du contre-terrorisme de l’OAS** qui venait d’être créée, contre-terrorisme s’en prenant notamment aux Arabes travaillant dans la ville européenne.

La terreur quotidienne

Le mode opératoire des tueurs du FLN était univoque : une grenade lancée sur un marché ou sur la terrasse d’un café ; l’auteur disparaissait à la faveur de la panique générale ; nous n’étions pas encore à l’ère des kamikazes.

Du côté de l’OAS, les cibles étaient multiples.

Le directeur d’une fabrique de conserves employait dans son entreprise six salariés arabes. Un après-midi, l’usine fut encerclée par un groupe de jeunes gens qui attendaient la sortie des « bougnoules » pour les agresser. Après plusieurs heures d’inquiétude, le chef de l’entreprise sortit par surprise à bord d’une camionnette où se dissimulaient ses employés. A distance, il confia la voiture à l’un des fugitifs, et cela sans espoir de récupérer le véhicule. Par la suite, l’usine fut l’objet d’une tentative d’incendie. Exemple illustrant le climat d’insécurité de l’époque, parmi d’autres infiniment plus terrifiants, et dont le résultat fut d’interdire certains quartiers aux Arabes.

Les cibles de l’OAS étaient le plus souvent les indigènes, désignées par leur faciès, mais des « Européens » furent aussi les victimes de leurs commandos, tel ce couple dont le fils avait exprimé des idées en faveur d’une Algérie algérienne, et qui fut égorgé à son domicile. L’OAS s’attaquait aussi à ceux qui pouvaient avoir surpris une livraison d’armes. Les barbouzes, agents de la DST*** étaient liquidés lorsqu’ ils étaient identifiés.

Dans les dernières semaines de l’Algérie française l’OAS pratiqua une politique de la terre brûlée, par exemple en mettant le feu aux gigantesques cuves du port d’Oran le 25 juin 1962.

 

 

 

La position de la communauté juive : Une communauté unanime ou presque.

Certains Juifs, fort peu nombreux, croyaient en une Algérie indépendante pluraliste, où l’Islam ne serait pas religion d’Etat. Ils défendirent la cause des Arabes et cela par anticolonialisme. Ces Juifs, souvent membres du parti communiste, soutinrent le FLN, notamment en refusant de servir dans l’armée française, en devenant agents de liaison, parfois « porteurs de valises », ou même en rejoignant les fellaghas dans les Aurès. Ces « oubliés de l’histoire » seront déçus : après l’indépendance, quels qu’aient été les services rendus, ils devaient faire une demande pour acquérir la nationalité algérienne, alors que la présence juive au Maghreb datait de près de deux mille ans..

Dans son immense majorité, la communauté juive réagit comme la plupart des « pieds-noirs ». Les Juifs d’Algérie étaient des citoyens français vivant dans un département français, ils croyaient en l’Algérie française. Ils étaient révulsés par l’horreur du terrorisme arabe. L’indignation fut à son comble après les attaques du FLN contre des rabbins, des synagogues, les quartiers juifs de Mostaganem et de Constantine. Ces attentats hautement symboliques annonçaient que les Juifs n’auraient pas leur place dans la nation algérienne.

Dans ce contexte, certains Juifs s’engageront dans les rangs de l’OAS et participeront activement au contre-terrorisme à Oran.

Une réunion secrète à la grande synagogue

Dans les locaux de la grande synagogue d’Oran se tint en mai 1961 une réunion secrète à laquelle assistaient une vingtaine de notables d’Oran et de villes de l’intérieur.

Selon le dirigeant de la communauté qui prit la parole, au cours de négociations entre le FLN et le gouvernement français, la communauté juive était l’objet d’un marchandage, d’un enjeu politique : les représentants des insurgés souhaitaient que la nationalité française fut retirée aux Juifs d’Algérie, ce qui permettrait leur « intégration » future dans l’Etat algérien, désireux de s’approprier leur poids économique ; en fait les Juifs seraient devenus des citoyens de seconde zone, des otages apatrides, des Juifs en terre d’Islam dotés du statut de dhimmis, une minorité corvéable à merci, comme dans les autres pays musulmans. Cette proposition, assortie de la promesse que la France serait un client privilégié dans les fournitures de pétrole, aurait été rejetée par les négociateurs français.

Le même responsable, au cours de cette réunion secrète, incita les Juifs à quitter l’Algérie le plus tôt possible.

Cette incitation au départ, (discrètement transmise à la communauté, car aux yeux de l’OAS, il s’agissait d’une trahison), ne fut pas suivie d’effet, alors même que s’aggravait de jour en jour le climat de terreur, symbolisé par les graffitis maculant les murs de la ville « La valise ou le cercueil ». L’OAS s’opposait de toutes ses forces à ce qu’elle considérait comme une désertion..

Malgré cela, quelques uns partirent, clandestinement, de nuit, tandis que la majorité ne le fera qu’entre avril et août 1962, comme la plupart des « rapatriés ». Parmi ceux qui sont restés, il y a eu ceux dont l’état de santé ne permettait pas un tel voyage : ce fut le cas de ma grand’mère maternelle, qui devait mourir à Sidi-Bel-Abbès en l’absence des siens, peu de temps après leur départ pour la métropole.

L’exode ne fut possible que lorsque tout espoir de demeurer en Algérie fut perdu, et que l’OAS eut autorisé les départs. Ce fut alors la ruée vers l’aéroport de La Sénia et les bateaux qui multiplièrent les allers retours entre Oran et les ports français de la Méditerranée, sans pouvoir répondre totalement à la demande avant la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, annoncée pour le 5 juillet 1962. Certaines familles candidates au départ ont attendre plusieurs jours dans des conditions pénibles, sur les quais du port ou dans les locaux de l’aéroport, avant d’embarquer (Figure 2).

 
Le Ville d'Oran

Le massacre du 5 juillet 1962

Ni le cessez-le-feu, ni la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie ne mettront un terme aux violences. Ainsi le massacre du 5 juillet 1962, ou massacre d'Oran, se produisit plus de trois mois après le cessez-le-feu, deux jours après la reconnaissance par la France de l’indépendance, le jour-même de sa proclamation, le 5 juillet 1962. Il a été le fait d’une foule déchaînée à l’encontre de civils européens (plusieurs centaines de morts et plus de mille disparus). L’armée française, respectant les ordres, attendit de longues heures dans ses casernes avant de faire cesser le carnage.

Ces faits donnent une idée du chaos qui régnait à Oran en cette période où l’on pouvait tuer en toute impunité. Mais seuls les travaux d’historiens permettraient de décrire la situation de façon exhaustive, ce qui supposerait le recueil de multiples témoignages auprès des «rapatriés », de membres de l’OAS, de l’ALN****, ainsi que l’accès aux archives de l’administration française et des négociations d’Evian. Mais il est sans doute trop tôt : un tel ouvrage - une sorte de livre noir de la guerre d’Algérie -, ne manquerait pas de soulever des controverses et de rouvrir les plaies, non encore cicatrisées, de ceux qui ont vécu ce drame.

Les confidences de mes amis ont été faites avec gravité: le souvenir des exactions du FLN et de l’OAS est encore vivace et le demeurera à jamais.

 

Notes

*Front de Libération Nationale
** Organisation de l’Armée secrète ou Organisation Armée Secrète
*** Direction de la Surveillance du Territoire
**** Armée de Libération Nationale
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