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L' Armorial de la ville d'Oran
Jean-Paul Fernon et Nicolas Vernot

Complément aux Armoiries de la ville d'Oran

 Jean-Paul Fernon, co-auteur avec Nicolas Vernot de "l'Armorial des communes de l'Algérie Française" (Mémoire de Notre Temps) m'a envoyé son remarquable article avec autorisation de publier. Le voici :

 
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(1) Ecartelé : au premier de gueules à un coq d'argent, la patte dextre levée sur une boule d'or, au deuxième d'or à une nef antique de sable, la proue en tête de lion, équipée d'argent, pavillonnée d'une flamme tricolore de France, voguant sur une mer ondée d'azur et d'argent, au troisième de sinople à un croissant d'or surmonté d'une étoile du même, au quatrième contre-écartelé, au I et au IV de gueules à une tour d'or, ouverte et ajourée du champ, et au II et au III d'argent au lion de gueules ; le tout sommé d'un chef d'azur semé de fleurs de lys d'or.
Couronne murale de cinq tours maçonnées et ouvertes de sable.
Supports : deux lions d'or armés et lampassés de gueules posés sur un entablement d'argent retenant un pampre tigé et feuillé d'or, fruité de cinq pièces de gueules.

On peut rapprocher l'étymologie d'Oran du berbère oued Ouaran, "la rivière où les lions vont boire". La montagne des Lions, proche, confirme cette étymologie qui rappelle que l'on trouvait autrefois des lions dans la région. Ces animaux, dont deux statues, œuvres du sculpteur Caïn, ornent l'entrée de l'Hôtel de Ville, serviront d'ailleurs plus tard de support aux armes de la ville.
Fondée en 903 par des marins andalous sous le nom d'Ouahran, la ville fut conquise par les troupes du cardinal Ximenes et tomba ainsi sous la domination espagnole entre 1509 et 1792, avec une courte occupation turque entre 1708 et 1732. Reprise par les Turcs en 1792, Oran devient alors la capitale du beylik de l'ouest algérien jusqu'au 4 janvier 1831, date à laquelle les troupes françaises entrent dans la ville.
Les premières armoiries d'Oran datent de l'époque espagnole. Sculptées sur une fontaine de la rue d'Orléans, elles ont été ainsi décrites : de gueules au lion d'or passant chargé d'un soleil rayonnant d'or", avec la devise Combatire los enemicos de la fe ("combattre les ennemis de la foi"). Sous l'écu est inscrit en espagnol un texte qui, traduit, donne : "Construit sous le règne de Charles IV par le Conseil de Gouvernement de cette place. Année 1789". Un article d'André Levraux de 1952, ainsi que la photo de ce blason (ci-dessous) montrent que le lion, en réalité, n'est pas passant mais rampant et qu'il est de plus contourné. En outre, si un soleil le chargeait, il serait minuscule. En fait, on distingue dans la partie supérieure de l'écu une masse arrondie dotée de rayons qui est sans doute un soleil recouvert d'un malheureux coup de pinceau rouge !

Le blasonnement doit donc vraisemblablement être rétabli ainsi :
(2) De gueules au lion contourné d'or surmonté d'un soleil (probablement de même ).

Cette version ainsi rétablie concorde dans les grandes lignes avec une représentation sans doute gravée au siècle suivant, qu'on blasonne :
(3) De gueules à un soleil d'or, au lion du même passant sur une terrasse aussi d'or brochant sur le tout.

 
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Ces armoiries semblent n'avoir jamais été utilisées par les autorités françaises, qui leur préféreront des compositions plus chargées. La première version des armoiries françaises d'Oran apparaît au fronton de l'hôtel de ville bâti entre 1882 et 1885 (4). Créées à une date inconnue, ces armes peuvent se blasonner comme suit :

(4) Ecartelé, au premier d'argent à un soleil rayonnant cousu d'or se levant sur une mer d'azur ondée de sable, au second contre-écartelé de gueules à une tour d'or maçonnée de sable et ouverte du champ (Castille) et d'argent au lion de gueules (Léon), à un écusson ovale d'azur à 3 fleurs de lys d'or et à la bordure de gueules brochant sur l'écartelé ; au troisième d'azur à un croissant contourné en barre
d'or ; au quatrième d'argent à un palmier au naturel adextré d'un marabout aussi d'argent le tout sur une terrasse de sinople ; sur le tout, au chef d'argent chargé d'une nef antique contournée de sable habillée de 2 voiles d'argent voguant sur une mer d'azur.

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Le premier quartier montre un soleil couchant, évocation de la position d'Oran à l'ouest de la côte algérienne, dont le palmier du quatrième quartier souligne le climat méditerranéen. Aux côtés de l'arbre, un marabout renforce l'aspect naturaliste et paysager de ces armes. Les puissances espagnole et turque, qui se sont succédé à la tête de la ville, sont évoquées respectivement aux deuxième et troisième quartiers. La galère placée en chef consacre la vocation portuaire d'Oran depuis l'Antiquité. Il est à noter que les blasonnements publiés de ces armes omettent systématiquement l'écusson ovale qui broche sur le contre-écartelé du deuxième quartier. Il apparaît pourtant bien, chargé d'un lys et bordé, sur le fronton de la mairie, et généralement sous la forme d'un disque vide dans les représentations ultérieures. Il s'agit en fait des armes des Bourbon, d'azur à trois fleurs de lys d'or, à la bordure de gueules, dynastie qui règne sur l'Espagne depuis 1700. L'écusson est ici placé sur les armes de royaume de Castille-Léon, dans une version simplifiée : en réalité, les armes de Castille sont ornées non pas d'une tour, mais d'un château d'or sommé de trois tourelles du même et ouvert d'azur. Quant au lion de Léon, il est en principe de pourpre et non de gueules.
En raison de leur complexité, ces armes connaissent de nombreuses variantes de détail. Ainsi, sur le fronton du lycée Lamoricière inauguré en 1887, l'antique galère est remplacée par un voilier contemporain, le champ du croissant passe de l'azur au gueules, et le marabout disparaît, dans un écu que l'on peut restituer ainsi :

(5) Ecartelé, au premier d'argent à un soleil rayonnant cousu d'or issant à dextre d'une mer d'azur ondée de sable, au second contre-écartelé de gueules à une tour d'or maçonnée de sable et ouverte du champ (Castille) et d'argent au lion de gueules (Léon), à un écusson ovale d'azur à 3 fleurs de lys d'or et à la bordure de gueules brochant sur l'écartelé ; au troisième de gueules à un croissant contourné en barre d'or ; au quatrième d'argent à un palmier au naturel sur une terrasse de sinople ; sur le tout, au chef d'argent chargé d'un navire contourné de sable habillé de 2 voiles d'argent voguant sur une mer d'azur.

Plus que la version de la mairie, cet écu semble avoir à son tour inspiré un grand nombre de variations dans le détail, qui vont dans le sens d'une suppression progressive de l'écusson des Bourbon d'Espagne. On le voit par exemple sur les Palmarès du Lycée Lamoricière publiés par les éditions Heintz d'Oran ainsi que sur une vignette polychrome qui représente un navire non contourné, et montre dans le premier quartier un soleil levant sur un ciel… bleu ciel, tandis que le palmier, de sinople terrassé d'argent, est lui aussi figuré sur un champ d'azur. En revanche, et contrairement à ce qui a été écrit, le navire a les voiles toujours bien gonflées et jamais ferlées. Les nombreuses variantes observées n'altèrent pas le sens général de la composition.

Durant les premières décennies du XXe siècle, ces armoiries suscitent le débat. Ce n'est pas tant leur complexité qui est en cause que, probablement, l'absence d'évocation de la présence française. D'après Théo Bruand, un contre-projet est envisagé dès 1913. Peintes ensuite au plafond de la salle du Conseil municipal, les nouvelles armes seront officiellement approuvées le 29 mai 1936. Décrites en tête de cette notice, elles conservent des armes précédentes l'organisation générale en écartelé sous un chef. Toutefois, la France y tient désormais la place d'honneur : les fleurs de lys soulignent la conquête d'Oran sous le règne de Louis-Philippe, tandis que la galère antique est pavoisée aux couleurs de la République ! En outre, un coq (gaulois) ayant la patte dextre posée sur une boule rappelle la puissance coloniale de la France dominant le monde.
Dans la succession des armes d'Oran, il nous faut signaler une curieuse parenthèse héraldique occasionnée par l'émission, entre 1942 et 1945, d'un timbre poste dont les armes, dites d'Oran, semblent n'avoir jamais été utilisées par la ville. Leur blasonnement peut se restituer ainsi :

(6) Parti, au premier de gueules à un croissant surmonté d'une étoile le tout d'or tourné en bande, au second écartelé de gueules à une tour d'or maçonnée de sable et ouverte du champ (Castille) et d'argent au lion de gueules (Léon), à un écusson ovale d'azur à 3 fleurs de lys d'or et à la bordure de gueules brochant sur l'écartelé ; sur le tout, au chef d'azur à 3 étoiles d'or.

Sous la Troisième République, plusieurs villes françaises qui portaient autrefois des fleurs de lys dans leurs armes les ont remplacées par des étoiles plus neutres politiquement. Il est possible que la présence des trois étoiles sur les armes d'Oran soit issue de la même volonté de censure héraldique. Il est à noter, d'ailleurs, que l'écusson ovale qui devrait accueillir les armes fleurdelysées des Bourbon d'Espagne est laissé vide. Le lion de Léon, en outre, est contourné. L'origine de cette composition demeure un mystère.
Ce qui est certain, c'est que la municipalité d'Oran était fermement attachée aux armes adoptées en 1936. Lorsque, après la guerre, fut émis un nouveau projet de timbre poste aux armes d'Oran, c'est à l'héraldiste Robert Louis que fut confié le soin d'en réaliser la maquette. Dans un courrier du 21 novembre 1946 adressé au Ministre des Postes et Télégraphes, l'ingénieur Labrousse, chef du Service central des Postes et Télégraphes d'Algérie communique "les renseignements transmis par les maires d'Alger et d'Oran relatifs aux armes de ces villes. Devant le refus opposé par les municipalités de modifier la composition héraldique de leur blason, je vous serais très obligé de vouloir bien demander à M. Louis d'exécuter, si possible, les maquettes des timbres poste en reproduisant exactement les caractéristiques des écussons tels qu'ils figurent sur les documents ci-joints. Si cette reproduction s'avère impossible un autre sujet de maquette sera proposé". Ce courrier est accompagné d'un feuillet indiquant très précisément les figures et couleurs des armes d'Oran.
Plus tard, Robert Louis, avec le concours d'André Levraux, ajouta des ornements extérieurs, adoptés par délibération du 6 mai 1960. Les lions, en support, font allusion à l'étymologie berbère du nom de la ville. Ils remplacent les putti bienveillants et joufflus que l'on pouvait voir s'ébaudir au fronton de la mairie. Quant au pampre, il évoque l'importance de la culture de la vigne dans la région.
On ne peut clore cette notice sans rappeler que c'est à Oran que naquit l'écrivain Emmanuel Roblès, le 4 mai 1914.

Sources :
Archives nationales, Service des sceaux : Commission d'héraldique urbaine (1941-1960), dossier "anciennes colonies françaises" (Oran), et Fonds d'héraldique municipale française, carton Doubles provinces, pays et vallées, pays étrangers, fiche "Oran").
Vignette en couleur, éd. Auguste Boyer et Cie, Paris, s.d.
Carte des nouvelles limites administratives en Algérie (décret du 14 avril 1958), éd. Jacques Gandini, Nice.
BRUAND, Théo, Oran (Reproduction en couleur et article du 12 mars 1996 corrigé le 25 novembre 1998, pour le cercle algérianiste Franche-Comté/Bourgogne)
CRUCK, Eugène, Oran et les témoins de son passé, Heintz, Oran, 1956
GOOSSENS, René, Oran, F.D Diffusion, Toulouse, 1970
LEVRAUX, André, "De l'héraldique en général et des armoiries de la ville d'Oran en particulier ", dans La vie municipale, bulletin de la Ville d'Oran, 15 mai 1952.
YVERT et TELLIER, Catalogue de timbres postes, t. II, colonies françaises et territoires d'Outre-Mer, Amiens, Yvert et Tellier, 1999, pp. 54.
Informations et photographies recueillies auprès de Jean-Claude VISDOMINÉ.

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