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L'Opéra d'Oran, moins
ancien que celui d'Alger, mérite de retenir notre attention.
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- A Oran, en 1905, un homme de valeur
présidait aux destinées de la Cité. Cet
homme Hippolyte Giraud possédait une rare culture, nourrie
et affinée par l'expérience acquise au cours de
nombreux voyages dans diverses grandes villes du monde et voulait
en faire profiter sa ville. Il décida de doter Oran d'un
nouveau théâtre en remplacement du "vieux"
casino Bastrana, de la rue de Turin, qui n'était plus
digne, il est vrai, d'une population de plus en plus dense et
dont le goût pour les Arts s'affirmait chaque jour.
En septembre 1905, en bordure d'un terrain vague, il eut la joie
de présider à la cérémonie de la
pose de la première pierre du futur monument, ayant à
ses côtés MM. Jonnart, Gouverneur Général,
Etienne et Gautier, Ministres.
Commencée en 1906, la construction fut terminée
en 1907 et, sous la désignation "d'Opéra Municipal
d'Oran", inaugurée le 10 décembre 1907. Elle
occupait sur la place Foch, un emplacement faisant pendant à
l'Hôtel de Ville construit en 1888.
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- Le théâtre était
composé de 2 étages, bâtis au-dessus d'un
rez-de-chaussée surélevé auquel on accédait
par un grand escalier extérieur de 12 à 15 marches.
- La façade du rez-de-chaussée
comportait dans sa partie centrale, une grande porte de fer forgé
couvrant sur la salle d'accueil, d'où partaient deux larges
escaliers montant sur trois étages intérieurs du
monument.
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- La partie s'élevant au-dessus
du rez-de-chaussée était majestueuse, elle prenait
jour sur la place Foch par trois grandes et hautes portes-fenêtres,
éclairant la vaste salle du foyer principal. Les ouvertures,
de style roman, étaient garnies sur le devant, par trois
balcons arrondis, à balustrades de pierre, et ornées,
dans le haut de motifs d'architecture sculptés où
moulés du plus bel effet. Des deux côtés
de la face rectangulaire, s'élevaient deux tours carrées,
avec des ouvertures de même facture que les grandes baies
du foyer ; ces tours étaient surmontées de deux
coupoles dorées, coiffant quatre pilastres, et garnies
de motifs décoratifs architecturaux.
Entre ces coupoles, un groupe sculptural, réalisé
par Fulconis, représentait plusieurs personnages dont
une femme, drapée à la mode antique, élevant
son bras droit vers le ciel, tandis qu'elle tenait une lyre dans
son bras replié.
Pour la soirée inaugurale, le 10 décembre 1907,
les premiers Directeurs de la nouvelle scène municipale,
MM. Portal et Grazi avaient choisi "Faust",
l'opéra de Charles Gounod en 5 actes et 7 tableaux, d'après
le poème dramatique de Goethe. Les interprètes
étaient de célèbres chanteurs métropolitains
de l'époque, venus spécialement à Oran :
Mme Novello (Marguerite), Mme Cle-Lange (Dame Marthe),
M. D'Esterel (Faust), M. Cabrol (Méphistophélès),
M. Jeannot (Valentin) ;
- l'Orchestre dirigé par le Maître
Koderic, ne comprenait pas moins de quarante musiciens. La représentation
fut un triomphe.
Elle n'était que le prélude du grand répertoire
classique, qui fut joué pendant toute la première
saison : Sigurd, Hérodiade, Guillaume Tell, Lohengrin,
l'Africaine, Werther, Carmen, les Mousquetaires au Couvent, la
Mascotte, bref, des pièces qui avaient fait la preuve
de leur qualité.
Par la suite, de 1907 à
1957, et même pendant les périodes troublées,
d'abord de la grande guerre 1914/18, puis de la drôle de
guerre 1939/40, l'Opéra d'Oran fut le lieu de grandes
manifestations culturelles qui se succédèrent sans
arrêt, mettant en valeur tout le répertoire français
en matière d'art lyrique et chorégraphique, joué
à Paris et repris à Oran : opéra, opérettes,
ballets classiques et modernes. On peut parler de grand répertoire.
Les responsables de notre première scène qui se
sont succédé depuis la grande première en
1907, donnèrent satisfaction au fil des saisons, aux nombreux
amateurs oraniens de Bel Canto, par la représentation
d'ouvrages de qualité : la Tosca, la Bohème,
Rigoletto, Aïda, la Juive, les Pêcheurs de Perles,
le Barbier de Séville, la Favorite, Cosi Fan Tutti (gala
des jeunesses musicales) et Lucie de Lamermoor, le Pays du
Sourire, Véronique, Princesse Csardas, la Veuve Joyeuse,
le Comte de Luxembourg, les Trois Valses, Frasquita, la Vie Parisienne,
les Noces de Jeannette, Valses de Vienne, Ciboulette, la Cocarde
de Mimi Pinson, etc.
Pour l'interprétation de ces chefs-d'oeuvre, l'Opéra
d'Oran avait recours à de grands artistes, de chanteurs
en renom français ou étrangers dont la liste non
exhaustive comprenait notamment : Jeanne Campredon, Lyse Charny,
Lyse Lanouzzi, Andrée Guiot, Mady Mesplé, Lucienne
Denat (Oranaise), Lucienne Anduran, Andrée Esposito (Algéroise),
Simone Couderc, Caroline Dumas. Et côté hommes,
Chareski, César Vezzani, Valéry Blouse, Villy Tunis,
Louis Musy (Oranais), José Luccioni, Pierre Savignol,
Gabriel Bacquier, Ernest Blanc, René Bianco, Michel Dens,
José Mallabrera (Oranais), Albert Lance, José Janson,
Tony Poncet, Guy Fontanière, Daurlec.
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- Entre les deux guerres, la saison comportait
des périodes distinctes d'un mois environ chacune, réservées
successivement à l'Opéra, à l'Opérette
et à la Comédie. En outre, des représentations
purement musicales étaient données par des musiciens
en renom tels les violonistes Jacques Thibaud, Yehudi Menuhin,
les violoncellistes : Pablo Casals, Henri Bartok ; les pianistes
: Alfred Cortat, Niemenski, Reuchel ; la harpiste : Wanda Landowski
et enfin le quatuor Zimmer.
Bien souvent, des tournées de troupes complètes
ou d'artistes individuels, qui jouaient à Alger auparavant.
Les conférenciers de la plus grande renommée étaient
écoutés dans la grande salle de l'Opéra
par un public averti. Enfin "les Jeunesses musicales"
et les Sociétés Locales, les tournées Barret,
Herbert Karsenty donnaient régulièrement de très
belles représentations culturelles. Les ballets internationaux
et français y représentaient les chefs-d'oeuvre
de la chorégraphie.
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- Les 2 et 13 mars 1957, eut lieu à
l'Opéra à Oran, une grande manifestation d'art
lyrique, pour la célébration du cinquantenaire
de l'inauguration de l'Opéra. Le Maire de la ville d'Oran
était M. Henri Fouques-Duparc, et tout fut mis en oeuvre,
pour faire de cet anniversaire de l'Opéra, un véritable
triomphe d'art lyrique.
Dans la préface du programme éclectique, édité
pour la circonstance, le Maire exposait les caractéristiques
de ce qui avait été le théâtre municipal
depuis 1907, et de ce que représentait la manifestation
du jour venant célébrer un demi-siècle d'existence
et de succès. M. Fouques-Duparc rappelait que le Conseil
Municipal avait décidé de jouer pour le cinquantenaire
de l'Opéra, le même Faust qui avait été
présenté en 1907 pour l'inauguration de la scène.
- Pour la petite histoire, le Maire donnait
les précisions suivantes : le prix de la construction
n'avait pas atteint le demi-million ; l'ameublement complet avait
coûté 31.800 francs ; la peinture décorative
des murs, plafonds et foyers était adjugée pour
1.500 francs ; et le tarif des places s'échelonnait de
1,50 Frs à 4 Frs.
Cinquante ans après, il avait paru tout indiqué
de célébrer l'anniversaire de cette inauguration
par une représentation de gala du même Faust de
Gounod, toujours jeune malgré l'épreuve du temps,
pour mieux marquer la pérennité de l'oeuvre accomplie
depuis ce premier spectacle.
Nonobstant les difficultés de toutes sortes, inhérentes
aux heures troublées qui étaient celles de l'Algérie
depuis le jour de Noël tragique de 1954, l'Opéra
continuait à briller d'un vif éclat. Beaucoup de
grandes villes de la métropole admiraient les programmes
donnés aux Oranais. On reconnaissait la sagesse de la
gestion en régie directe, on enviait le prestige dont
la scène municipale était auréolée.
Le Maire expliquait, que si le public continuait à venir
très nombreux à l'Opéra, c'était
la qualité des spectacles qui en était la cause.
Mais ajoutait-il, cela était dû aussi, à
la volonté des Français d'Algérie de maintenir
et d'affirmer la présence française dans ce pays
que tous aimaient avec passion.
Le théâtre en effet, était l'un des aspects
du rayonnement de notre génie national, si divers dans
sa grandeur. La saison, commencée en 1956, continuée
en 1957, était la marque du désir commun de tous
les Français d'Algérie, et en particulier des Oranais,
de voir la paix renaître, et les départements algériens
reprendre leur essor. Cette saison, comme les précédentes,
était l'expression d'un vivant espoir, et comme un vibrant
acte de foi en l'avenir. En signant ces lignes, M. Henri Fouques-Duparc
ne prévoyait pas la fin de l'Algérie française,
en 1962.
Retournons, pour finir notre
chronique, à l'Opéra en 1957 : les programmes,
distribués aux nombreux participants de la fête,
reproduisaient textuellement, la traduction de Gérard
de Nerval, du prologue de Faust, écrit par Goethe
:
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- Eh bien ! rends-moi ces temps de mon
adolescence
Où je n'étais moi-même encore qu'en espérance
Cet âge si fécond en chants mélodieux,
Tant qu'un monde pervers n'effraya pas mes yeux ;
Tant que, loin des honneurs mon coeur ne fut avide
Que de fleurs, doux trésors d'une vallée humide
!
Dans mon songe doré, je m'en allais chantant
Je ne possédais rien, j'étais heureux pourtant
Rends-moi donc ces désirs qui fatiguaient ma vie,
Ces chagrins déchirants, mais qu'à présent
j'envie,
Ma jeunesse ! .... En un mot, sache en moi ranimer,
La force de haïr et le pouvoir d'aimer !
Le spectacle du cinquantenaire,
se déroula au milieu des bravos et des applaudissements
réclamant les Bis. Ce fut un triomphe !!
- Comme pour l'inauguration, la salle
avait été archi-comble et le spectacle eut lieu
dans l'enthousiasme, ce dont on se souvient tant d'années
après, et que l'on ne peut oublier.
Roger Arnaud (droits réservés)
Echo de l'Oranie n° 296 - janv fev 2005 |