- Dans mon
jeune âge, et pendant la période de la guerre 1939-1945,
mon père mobilisé et que je voyais lors de ses
rares permissions, m'avait donné le culte de la Patrie
et magnifié le respect au Monument aux Morts. C'est pourquoi le Monument aux Morts d'Oran
- outre la vénération qui lui est due en toutes
circonstances - occupe une place particulière dans mon
coeur.
- Après notre expulsion d'Algérie,
j'ai eu la joie de voir ce Monument aux Morts rapatrié
à Lyon, qui avait été jumelée avec
Oran en 1956.
-
- Son inauguration.
-
- Le 26 mai 1927, M. Violette, Gouverneur
général de l'Algérie, accompagné
de M. Frioux, directeur de son cabinet et du Lieutenant de Vaisseau
Richebourg, de sa maison militaire, arriva pour présider
à l'inauguration de deux monuments.
L'un des monuments immortalise les traits d'Eugène Etienne
en magnifiant sa vie consacrée à ce département
algérien qu'il représenta au Parlement 40 années
durant.
- Le deuxième est érigé
à la gloire des 12.000 enfants de l'Oranie tués
au cours de la grande guerre. Le Monument aux Morts (appelé
alors Monument de la Victoire), oeuvre de MM. Dordet et Prinet
pour l'architecture, de M. Pommier pour la sculpture, construit
en belle pierre de Magenta, comporte un fronton principal de
12 mètres de hauteur, surmonté de 3 poilus symboliques,
sous lesquels on lit cette inscription :
-
- " Le département
d'Oran à ses enfants morts pour la Patrie - 1914 - 1918
"
Sur les tronçons tri-latéraux
des bas-côtés, les noms de Charleroi, Marne, Aisne,
Flandre, Artois, Lorraine, Somme, Champagne, Verdun, Argonne,
Dardanelles, Orient, évoquent les phases fameuses de l'épopée.
Derrière le monument, face à la mer, une autre
inscription : " Souvenez-vous ".
- Puis c'est l'énumération
des tués à l'ennemi. Arrondissement d'Oran : 3.208
; Sidi-Bel-Abbès : 1.217 ; Mostaganem : 3.439 ; Tlemcen
: 1.136 ; Mascara : 2.257 ; Sud-Oranais : 1.252.
Le monument s'élève sur l'esplanade de l'avenue
Loubet, dominant la mer dont l'immensité capricieuse n'a
jamais pu empêcher le cur des Algériens de
battre à l'unisson de ceux de la France.
-
Photo L'Illustration
- Le discours d'inauguration
est lu par le Docteur Molle, maire.
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Édouard Herriot, Maire de Lyon,
avait réalisé en 1956, un jumelage entre les villes
de Lyon et d'Oran avec laquelle, nous allons le voir,
- il avait des liens sentimentaux,
et il avait été nommé Citoyen
d' Honneur de la Ville d'Oran.
-
Les Cérémonies
de jumelage de la ville d'Oran et de la ville de Lyon eurent
lieu les Dimanche 15 et Lundi 16 juillet 1956
- La séance extraordinaire
de jumelage est ouverte à midi quinze.
M. Herriot qui n'a pu être présent envoie un message
à M. Fouques Duparc
"En accordant son parrainage à la ville d'Oran,
la ville de Lyon a non seulement voulu exprimer sa sympathie
à l'égard de sa grande cité sur, mais
aussi son indéfectible attachement à l'Afrique
du Nord toute entière. Dans les douloureuses circonstances
du moment, la délégation lyonnaise voudrait que
son voyage à Oran constitue à la fois un témoignage
d'affection, de confiance et d'espoir. Les contacts d'homme à
homme et de ville à ville sont les plus sûrs garants
d'une entente plus que jamais nécessaire.
Ce message d'affection et d'espoir, je crois pouvoir vous l'adresser
avec une sincérité d'autant plus profonde, que
depuis plus de 40 ans, mes parents reposent en terre africaine.
Si mon état de santé ne m'a pas permis de vous
l'exprimer de vive voix, j'ai donné mission à la
délégation du Conseil municipal, conduite par mon
collègue et ami, M. le ministre Pinton, de vous l'apporter
en mon nom.
C'est l'avenir, très proche, je l'espère, après
la paix retrouvée, qui en permettra le plein épanouissement
mais, dès aujourd'hui, la ville d'Oran, son maire, son
Conseil municipal et sa population tout entière peuvent
compter sur l'amitié de la ville de Lyon."
- Edouard Herriot
-
-
- Monsieur Edouard
Herriot en tenue d'Académicien
-
- Une délégation
de la Municipalité d'Oran, conduite par le maire Henri
Fouques-Duparc, se rend à son tour à Lyon où
elle est accueillie par Monsieur Edouard Herriot, le 2 décembre
1956.
-
- L'allocution de Monsieur Edouard
Herriot figure au Bulletin Municipal Officiel du même jour.
En voici quelques extraits :
-
- "Si M. Fouques Duparc peut
justement se vanter de ses origines lyonnaises et nous rappeler
qu'il a, au cimetière de Loyasse, des souvenirs qui confirment
son dire, je peux, moi, par une espèce de hasard, déclarer
que je suis attaché à la ville d'Oran par des liens
que rien n'a pu détruire et que rien ne détruira
jamais.
Tout d'abord, c'est là que reposent mes parents. Il peut
paraître que je ne suis pas un fils très fidèle,
puisque je ne vais pas souvent sur leur tombe, mais par bonheur,
j'ai des amis qui veulent bien me représenter dans les
moments où c'est le plus nécessaire, lorsque c'est
le mieux indiqué. Et il y a à peine quarante huit
heures, je recevais un télégramme de notre cher
préfet d'Oran, M. Lambert, qui disait qu'une fois de plus,
il s'était rendu sur la tombe des miens, ce dont je saisis
l'occasion de le remercier profondément.
- Mais je suis attaché à
la ville d'Oran par d'autres liens. Il y avait autrefois, je
ne sais pas si cela existe toujours, dans l'hôtel de ville,
une petite salle qui servait de bibliothèque et où
les jeunes gens qui avaient quelques loisirs venaient s'instruire
et travailler pendant la période des vacances. Je suis
allé, pour ma part, bien souvent dans cette salle que
je ne retrouverais pas sans émotion, et c'est là
que je rencontrais un autre jeune homme, comme moi partiellement
désuvré, et qui devait, par la suite, devenir
mon beau-frère. Il est mort; il a été tué
pendant la guerre de 1914-1918, mais son souvenir m'est resté
présent, et je ne pourrais pas retourner dans cette salle
dont je viens de parler sans un serrement de cur que je
redoute profondément.
Voilà un de mes souvenirs, et on ne contestera pas qu'il
soit précieux, direct et efficace.
-
- J'en ai un autre qui me rattache
directement à la mairie d'Oran, pas seulement à
la ville, mais à la mairie que vous administrez, monsieur
le Maire. Mon père et ma mère avaient cru bien
faire en échangeant des maisons qu'ils possédaient
à Alger pour des terrains de culture aux environs d'Inkerman.
Ils avaient fait cela dans l'intérêt de leurs enfants,
et je dois leur en savoir gré. Je leur en sais gré,
mais l'expérience avait démontré que l'administration
des terrains d'Inkerman, faite de France, était une grande
difficulté, presque une impossibilité.
Aussi, quand je perdis ma mère, ce qui a été
un bien grand deuil dans ma vie, je réfléchis,
avec ma sur aînée, que nous ne pourrions pas
continuer à nous occuper de cette propriété,
à moins de quitter les devoirs que nous avions en France.
Je fus autorisé, par un vague conseil de famille, à
renoncer à la propriété de mes parents,
à leur héritage, et je me vois encore, un jour
de l'hiver 1909, et votre mairie doit en avoir conservé
la trace, montant les escaliers de l'hôtel de ville pour
aller, le cur gros, renoncer à la succession de
mes parents, et c'est ainsi qu'ayant été à
un certain moment possesseur de 200 hectares de terrain dans
la plaine du Cheliff, je n'y ai plus maintenant qu'une pauvre
baraque construite par ma mère et où je venais
passer mes grandes vacances, en contact avec les Arabes qui,
à ce moment-là, étaient tous des amis et
ne parlaient pas du tout d'insurrection. Voilà un deuxième
souvenir qui me rattache à la mairie d'Oran, j'allais
dire à la mairie de Lyon, je confonds souvent les deux
souvenirs, Oran et Lyon, tant ils sont proches dans ma pensée,
sur certains points.
- Voilà les souvenirs qui me
lient à la ville d'Oran. Je me crois donc en droit de
dire que je ne suis pas tout à fait étranger à
votre cité, mon cher maire, et que j'ai quelque droit
de m'en réclamer, puisque j'y ai vécu quelques-unes
des heures les plus émouvantes, les plus tragiques et,
j'ajoute, les plus dangereuses de mon existence.
- C'est donc non pas seulement par
un sentiment de politesse, de courtoisie, qui est largement dépassé
en la circonstance, mais de tout cur, qu'en vertu de souvenirs
profondément chers, je vous reçois ici, vous tous,
habitants de la ville d'Oran, représentants de la ville
d'Oran, et que je vous remercie en particulier pour le beau cadeau
que vous m'avez apporté. Ce pistolet, qui ne tuera personne,
restera tout près de moi comme un témoignage à
la fois de l'art arabe et aussi de votre charmante amitié,
de votre affection qui s'est ingéniée pour trouver
un souvenir qui me rappelât ce gros bled du Chélif
où je voyage encore si souvent par la pensée.
Nous sommes d'autant plus heureux de vous recevoir, mes chers
amis, que vous traversez des moments difficiles. Le monde est
bouleversé par les forces mauvaises, par les forces du
mal, et il y a des heures où nous nous demandons ce que
va devenir non seulement notre Algérie, mais ce que vont
devenir aussi une série de pays qui n'ont plus foi en
la liberté. Un devoir d'union s'impose aux enfants de
la France généreuse, et si c'est tout ce que nous
pouvons faire, faisons-le du moins avec conscience. De tels événements
nous commandent notre devoir, notre devoir qui est de nous unir
entre nous, entre nous Français, entre nous, fils de cette
France généreuse, qui n'a jamais hésité
à donner et son argent, bien entendu, et même, le
cas échéant, son sang pour les libertés
opprimées.
Que ce sentiment si profond en nous, soit à la mesure
des circonstances que nous traversons, à la mesure des
événements et, pour notre Algérie, j'ose
dire que je suis bien tranquille. J'ose dire que je n'ai pas
cette inquiétude que j'ai vu troubler un certain nombre
de mes compatriotes. L'Arabe a bien des défauts, comme
nous, mais c'est un peuple chevaleresque, et il finira par se
rendre compte qu'il a tout intérêt à être
bien avec la France. Certes, nous avons encore beaucoup à
faire là-bas, soit en matière de partage des terres,
soit en matière d'écoles, soit en matière
de travaux publics, mais nous le ferons, et nous le ferons avec
le concours des musulmans, des musulmans pareils à ceux
que, ce matin, je rencontrais dans cet hôtel de ville et
dont je serrais la main avec tant d'émotion, parce que
ce sont pour nous et pour moi des frères. Je me rappelle,
quand j'habitais ce douar d'Inkerman, ma mère me recommandait
toujours d'être très gentil pour les Arabes, et
le soir, quand on allait fermer la maison, ma mère me
disait une expression qui m'est restée dans l'esprit ;
elle me disait : " Va
donc voir, si les portes restent ouvertes." Ma mère
tenait, non pas à ce que les portes fussent fermées,
mais à ce qu'elles fussent ouvertes, pour recevoir les
Arabes de passage, et la nuit, bien souvent, couché dans
mon petit lit de camp, j'entendais des Arabes qui venaient, entraient
dans l'écurie, détachaient leurs montures et passaient
là quelques heures, la nuit, pour se reposer, au moment
d'un voyage de retour dans leur douar.
- Eh bien ! mes chers amis, ces souvenirs
me restent dans le cur. Le souvenir de ma chère
mère, le souvenir de mon père, c'était comme
vous le savez peut-être, un officier de zouaves qui est
mort parce qu'il a voulu rester à soigner ses soldats
malades, ces souvenirs-là, dis-je, n'abandonnent jamais
mon cur.
Je ne regrette pas les terres que j'ai pu avoir là-bas.
Que d'autres les cultivent, les fassent valoir, Français
ou Arabes, cela m'est égal, mais je suis resté
attaché de cur à cette population arabe,
à ces petits enfants avec lesquels j'ai joué et
ils m'ont donné tant de joies ; ces souvenirs-là,
que je ne les oublierai jamais.
Et voilà pourquoi, mes chers amis français, algériens
ou musulmans d'Algérie, vous êtes reçus dans
cette maison de l'hôtel de ville de Lyon avec une dilection
tout à fait spéciale ; vous n'êtes pas, ici,
reçus comme des étrangers avec lesquels on veut
se montrer courtois, vous êtes reçus comme des frères,
vous êtes reçus comme je le serais si j'allais chez
vous, si j'allais même dans vos plus pauvres douars, dont
j'ai connu autrefois la touchante hospitalité.
L'Algérie restera française !
- L'Algérie restera française,
et alors moi qui vais disparaître un de ces jours parce
que mon âge me l'ordonne, je sais que je ne vous verrai
pas souvent rassemblés dans cet hôtel de ville,
comme je vous y vois maintenant, mais, chaque fois que vous vous
réunirez, il me semble que je serai là par la pensée,
par le cur, et vous pourrez vous dire :
- Ici, nous avons été
reçus un jour, à notre passage, par un Français
qui nous aimait bien, par un Français qui croyait qu'aimer
l'Algérie, c'est aimer la France ! "
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- Monsieur Edouard Herriot
devait mourir peu après, le 26 mars 1957.
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DEMONTAGE DU MONUMENT AUX MORTS D'ORAN |
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- En 1962, quand arrive la fin de
l'Algérie Française, les travaux d'un gigantesque
ensemble immobilier au plateau de La Duchère ne sont pas
encore terminés. Le Maire de Lyon, Louis Pradel, sensible
à cet afflux de population déracinée venue
d'Algérie, leur attribue près de la moitié
des logements de cet ensemble et en 1966, il désira compléter
son oeuvre en faisant ériger un lieu évocateur
de mémoire sur ce Plateau.
- C'est donc tout naturellement que
le choix de ce lieu évocateur de mémoire se porta
sur le Monument aux Morts d'Oran.
Plusieurs conseillers municipaux et collaborateurs proches du
Maire se mobilisèrent, entre autres : M. Gilbert Prud'homme,
M. Émile Azoulay, M. Bonnardel, M. Carraz et notamment
M. Napoléon Bullukian qui financera généreusement
toute l'opération.
En décembre 1967, les négociations avec les autorités
algériennes aboutissent.
- La partie supérieure du Monument
est alors découpée de son socle haut de huit mètres
et la sculpture quitte Oran le 11 décembre 1967 pour Marseille.
-
- Voici ce qu'ajoute Luc Demarchi
qui tient le site du Cercle algérianiste de Lyon et qui
a bien voulu me donner d'autorisation de publier ce petit reportage
:
-
- "A
l'époque, Alors que M. PRADEL était Maire de Lyon,
Mrs. AZOULAY et PRUDHOMME se trouvaient au conseil municipal.
Le hasard a voulu que le voyage à Oran, en vue de négocier
avec les autorités algériennes le retour du Monument,
fut confié à M. PRUDHOMME.
- Assez
longtemps après, Mr AZOULAY et lui se sont retrouvés.
Lors de leur rencontre, il a ouvert un tiroir dans lequel se
trouvait une série de photos prises par lui lors du démontage.
Ces photos étaient restées en sommeil pendant plus
de quarante ans... Vous imaginez quand M. AZOULAY m'a présenté
ce petit "trésor de Mémoire"... Bien
entendu, elles étaient parfaitement inédites lorsque
je les ai mises en ligne et j'ai été heureux d'en
faire profiter les visiteurs oranais."
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- Cliquer sur les photos
pour les agrandir
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- Photos tirées du site
http://cerclealgerianiste-lyon.org. (avec autorisation)
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PLATEAU DE LA DUCHERE A LYON |
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- L'inauguration eut lieu à
la Duchère le 13 juillet 1968, en présence de M.
Pradel et de nombreux rapatriés. On retiendra les paroles
de M. Fenech, Président de la Fédération
Nationale des Rapatriés :
- " Il rappelle notre
terre d'Oranie et le combat de deux générations
de ses fils pour que vive la France.
- Il sera le lieu de recueillement
où les rapatriés, qui ont perdu leur tombe, pourront
évoquer la mémoire de leurs morts."
- Différentes plaques
commémoratives sont venues compléter le Monument
:
- Hommage à "l'Armée
d'Afrique",
- au "Rhin et Danube",
- aux "formations supplétives
et assimilées pour leurs sacrifices".
- Et puis cette inscription en
lettres d'or :
"En souvenir de leur terre natale, la ville de Lyon à
ses enfants d'Afrique du Nord qu'elle a accueillis".
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- cliquer
ici pour voir les monuments en plus grand
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