-
- Se sont-ils intégrés
?
- Le dynamisme, le goût du travail,
la joie de vivre, ces qualités qu'on leur reconnaît
habituellement, leur ont-elles permis de tisser une nouvelle
toile, de reconstituer leur patrimoine perdu, de refaire leur
trou ?
- Leur regard décalé
sur une Métropole qu'ils n'ont en général
découvert que tardivement, leur esprit défricheur
peu enclin à se laisser impressionner par l'adversité,
leur capacité d'adaptation héritée d'une
tradition d'émigrés enrichie par une éducation
multiculturelle, ont-ils contribué au développement
de la France métropolitaine, leur nouveau pays ?
- Ou au contraire, les conditions
assez fâcheuses de leur accueil, les stéréotypes
défavorables, voire franchement hostiles, déversés
sur eux ont-ils rendu épineuse leur intégration
dans cette vieille nation chargée d'histoire et nourrie
de clichés?
-
- Apporter une réponse de portée
générale supposerait d'analyser la reconversion
de chacune des personnes dispersées sur l'ensemble du
territoire hexagonal et figurant au fichier détenu par
la Délégation aux Rapatriés, lequel comporte
environ trois millions de cartes jamais informatisées
et rarement tenues à jour.
En revanche, certains Français d'Afrique du Nord ont
entamé ou poursuivi, en France ou ailleurs, des carrières
remarquables et rendu des services éminents. Leur notoriété
permet de les repérer. Certes, une telle approche privilégie
les titres, les fonctions, la renommée. Elle ne prétend
donc pas fournir un échantillon représentatif de
la population rapatriée. Mais elle offre d'intéressants
sujets de réflexion.
Il importe de ne pas oublier pour autant la laborieuse et méritoire
réinsertion des membres des classes moyennes, des obscurs,
des sans-grade : artisans, ouvriers, pêcheurs, petits entrepreneurs,
techniciens, enseignants, modestes commerçants, agents
des services publics, cultivateurs, etc. Utilisant certains ouvrages
déjà publiés sur ce sujet et un certain
nombre d'annuaires, aidé de nombreux amis, formant l'espoir
que d'autres, aux moyens plus puissants, pourront ultérieurement
étendre le cadre de cette recherche et lui donner la dimension
socio-ethnographique qu'elle mérite, j'ai pu réunir
un millier de notices biographiques.
-
- Sans trop s'embarrasser d'ordre
protocolaire, on peut y distinguer :
Une centaine de personnalités
scientifiques et universitaires, parmi lesquelles :
- Alain Bensoussan, membre correspondant
de l'Académie des sciences, président du Centre
national d'études spatiales (CNES) et de l'Agence spatiale
européenne, Jacques Berque, islamologue, professeur au
Collège de France, Gabriel Camps, préhistorien,
membre correspondant de l'Académie des inscriptions et
belles lettres, Jean-Claude Casanova, économiste, membre
de l'Académie des sciences morales et politiques, Claude
Cohen-Tannoudji, prix Nobel de physique 1997, membre de l'Académie
des sciences, professeur au Collège de France, Michel
Combarnous, polytechnicien, thermodynamicien, membre correspondant
de l'Académie des sciences, Jean Coulomb, directeur de
l'Institut de physique du globe, Jacques Frémeaux, historien,
professeur à la Sorbonne, ancien président de l'Institut
d'histoire des pays d'Outremer, Claude Hagège, linguiste,
professeur au Collège de France, Jacques Derrida, philosophe,
Serge Haroche, physicien, membre de l'Académie des sciences,
Jacques Joussot-Dubien, photochimiste, membre correspondant de
l'Académie des sciences, Gaston Julia, major de l'X et
de Normale-Sup, mathématicien, membre de l'Institut, professeur
au Collège de France, Jean-Louis Miège, historien,
membre de l'Académie des sciences d'Outremer, Georges
Souville, archéologue, membre de l'Académie des
sciences d'Outremer, etc...
-
- Une centaine de professeurs
de médecine partis sur les traces des deux prix Nobel
que comptait déjà l'Afrique du Nord : Alphonse
Laveran (Constantine) et Charles Nicolle (Tunis), parmi lesquels
:
- José Aboulker, neurochirurgien,
héros de la Résistance; Paul Aboulker, urologue
qui opéra François Mitterrand, Pierre Aboulker
urologue qui opéra Charles De Gaulle, Edmond Benhamou,
hématologiste, membre de l'Académie des sciences,
Henri Bismuth, membre de l'Académie de chirurgie, Pierre
Goinard, membre de 1'Académie de chirurgie, Claude Griscelli,
directeur général de l'inserm, Félix Lagrot,
membre de !'Académie nationale de médecine et de
l'Académie de chirurgie, Robert Slama, président
de la Société française de cardiologie,
Maurice Lubiana, radiologiste cancérologue, et Président
du Conseil scientifique de recherche sur le cancer, etc...
-
- De grands juristes ou hauts
magistrats, tels que :
- René-Jean Dupuy, professeur
au Collège de France, Michel Ameller et Jacques Robert,
tous deux membres du Conseil constitutionnel, Alexandre Benmakhiouf,
procureur général près la Cour d'appel de
Paris, Jean-Paul Costa, président de la Cour européenne
des droits de l'homme, Pierre Drai, premier président
de la Cour de cassation, Jean Géronimi, avocat général
à la Cour de cassation et dix-sept conseillers d'Etat
: Claude Lasry, secrétaire général du Conseil
d'État, Jacques Attali, Maryse Aulagnon, Maurice Benassayag,
Louise Cadoux, Jean-Paul Costa déjà cité,
Paule Dayan, Raphaël Hadas-Lebel, Jean-Claude Hassan, Augustin
Ibazizen, Jean-Claude Pins, Jacques Ribs, Philippe Sauzav, Pierre
Zémor.
-
- De nombreux hommes politiques
dont vingt et un ministres :
- Michèle Barzach, André
Cellard, Georges Chavanes, Joseph Franceschi, Elisabeth Guigou,
Michel Jobert, René Lenoir, Hamlaoui Makachera, Christian
Nucci, Pierre Pasquini, Edgar Pisani, Paul Quilès, Roger
Romani, Michel Roussin, Alain Savary, Henri Torre, Philippe Séguin
et pour mémoire car ils ont été ministres
avant 1962, Jacques Augarde, Jacques Chevallier, Henri Fouques-Duparc,
le docteur Sid Cara et sa fille Néfissa.
Une quarantaine de parlementaires, élus sur le territoire
métropolitain depuis 1962, sans compter les députés
et sénateurs d'Algérie, élus du temps où
celle-ci était française.
Des personnalités
religieuses :
- Un archevêque (Mgr Collini),
quatre grands rabbins (David Askenazy, Jacques Ouaknin, René-Samuel
Sirat, Joseph Sitruk), deux évêques (Philippe Barbarin,
Jean Scotto).
-
- De grands soldats :
- Un maréchal de France: Alphonse
Juin, vainqueur de la campagne d'Italie (1943-1944) qui offrit
à la France la seule victoire de portée stratégique
remportée par ses armées durant la Seconde Guerre
mondiale. Il fut aussi le chef d'état-major général
des armées françaises lors de la Libération
(1944-1945). Pour mémoire, un autre maréchal de
France fut aussi Pied-Noir : Louis Franchet d'Esperey, commandant
les armées d'Orient. Seize généraux, treize
amiraux, un commissaire général de la marine, auxquels
il convient d'ajouter un général canadien et un
officier supérieur de la marine américaine.
-
- Des diplomates :
- Vingt et un ambassadeurs, dont quatre
ont été élevés à la dignité
d'Ambassadeur de France: Alain Grenier, Charles Malo, Gilbert
Pérol et Jacques Tiné
-
- Des hauts fonctionnaires.
- Une vingtaine de préfets : Georges
Bastelica, Alain Beikiri, Mohand Benzaouer, Roger Benmebarek,
Mansour Benozen, Jean-Paul Bolufer, Pierre-André Costa,
Jean-Pierre Delpont, Jacques Franquet, Alain Gerolami, Mahdi
Hacène, Bernard Hagelsteen, Marcel Julia, Lucien Kalfon,
Kamel Khrissate, Philippe de Mazières, Pierre Moatti,
Marcel Morin, Jacques Périllat, Jean Sicurani, René
Stambouli, Jean Vassalo et autant d'ingénieurs généraux,
inspecteurs généraux de l'Equipement, de l'Industrie
ou de l'Education nationale, directeurs d'administrations centrales
etc...
-
- Une cohorte d'artistes, musiciens,
compositeurs, peintres, sculpteurs, créateurs de mode
tels
- Armand Assus, Louis Azzaro, Jean-Charles
de Castelbajac, Yves Saint-Laurent, philosophes, écrivains,
journalistes, chansonniers, humoristes, vedettes du show-biz,
artistes de cirque (Annie Fratellini, Achille Zavatta) et de
music-hall,
-
- des sportifs détenteurs de
records, champions
du monde ou médaillés olympiques.
Dans l'ordre de la Légion
d'honneur trois
grand-croix , onze grands officiers, quarante-neuf commandeurs,
un nombre incalculable d'officiers et de chevaliers.
Dans l'ordre national du Mérite, on trouve notamment trois grands-croix : Redjem
Benzaïd, Jean Coulomb et Suzanne Lefort née Rouquette,
quatre grands officiers : Louise Cadoux, Pierre Giraudet et René
Lenoir, Philippe Rouvillois, trente-six commandeurs, un grand
nombre de chevaliers dont Edgard Attias, etc...
De nombreuses croix de guerre
1945.
La réussite sociale et
les mérites reconnus des Français d'Afrique du
Nord n'ont donc pas à rougir d'être confrontés
à ceux de leurs compatriotes métropolitains. Cette
réussite ne doit rien à des privilèges économiques.
Au moment de l'exode, la plupart ont vu leur patrimoine et leur
outil de travail, fonds de commerce, ferme, atelier, maison,
mobilier, voiture, s'évanouir en fumée. Ils ont
dû repartir de zéro et ce ne sont certes pas les
indemnisations (quand elles ont pu être perçues)
qui y ont remédié.
-
- Leur ascension sociale ne fut pas non
plus reçue en héritage. Non, les Français
d'Afrique du Nord n'étaient pas riches ! Pour reprendre
l'image dont usait, par dérision, Albert Camus, leurs
parents n'étaient pas des colons à cigare et à
cravache montés sur Cadillac.
- Camus lui-même était orphelin
de guerre. Sa mère, femme de ménage. Le père
du maréchal Juin était gendarme. Celui du prix
Nobel, Claude Cohen-Tannoudji, était employé de
bureau. Emmanuel Roblès était né d'un père
maçon et d'une mère blanchisseuse. Jacques Attali
ne manque jamais de rappeler que ses parents étaient de
simples commerçants algérois, etc... Ils n'étaient
pas non plus des Petits Blancs incultes dont l'ignorance aurait
fait des contremaîtres arrogants et racistes.
- Ils ont abondamment alimenté
les grandes écoles et l'Université, pénétré
le Collège de France et l'Institut.
- On chercherait en vain un extrémiste
parmi les hommes ou femmes politiques issus de leurs rangs. On
peut, au reste, être surpris que, souvent vilipendés
collectivement en tant qu'abominables colonialistes, ils aient
su se faire apprécier individuellement au point d'être
si souvent élus en politique, portés à la
tête d'organisations professionnelles, ou acclamés
comme vedettes de spectacle...
-
- Il y a quarante cinq ans, la roue
implacable de l'Histoire a voulu le broyer. Le rétablissement
qu'il a opéré de ce côté-ci de la
Méditerranée est à coup sûr le meilleur
gage de l'authenticité des valeurs dont il était
porteur. Les descendants de Pieds-Noirs, peuvent sereinement
assumer leurs racines !
2007 - René Mayer,
ancien directeur de l'Habitat au Gouvernement général
de l'Algérie, et l'auteur de Algérie : Mémoire
déracinée, Editions l'Harmattan, prix Jean Pomier
décerné par le Cercle algérianiste en 2000.
Que ceux qui, malgré leurs mérites
et leur notoriété, ne sont pas cités, ou
ont pu être oubliés, veuillent bien m'excuser. |