- À Oran je peignais les affiches
de cinéma pour plusieurs salles et faisais les décors
pour certaines manifestations et petits théâtres.
Un gardien de la paix me revient en mémoire. C'était
une vedette des carrefours Bata et tir au pistolet. Il se voulait
original en réglant la circulation de façon fantaisiste
; il gesticulait beaucoup, faisait quelques pas de danse, faisait
tournoyer son bâton, c'était un spectacle. Les automobilistes
étaient affolés ne sachant plus quelle direction
prendre et lui, tout fier, de les engueuler et de leur tenir
des réflexions vexatoires.
On ne l'a plus revu. Sa hiérarchie a dû le placer
à un poste moins agité.
Au carrefour Bata, la police avait innové un système
de distribution du passage de véhicules.
Un policier se tenait dans son baquet cylindrique, tenant une
tige en fer surmontée d'une pancarte sur laquelle était
peint le mot STOP. Il faisait tournoyer cette tige qui était
logée dans un support de parasol. Il était protégé
du soleil par un parasol portant la publicité COCA-COLA.
Il y en avait aussi autour de son baquet.
L'Echo d'Oran en avait fait un sujet de dérision avec
photo à l'appui, disant que la police faisait de la pub
pour cette société, laissant entendre que la municipalité
n'avait peut-être pas les moyens de se payer ce matériel.
Inutile de dire que le lendemain, le flic se trouvait tout seul
avec son bâton
.
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- J'ai été fort intéressé
par l'historique de l'Opéra d'Oran, de son décorateur
Mr Joseph Mulphin, père de mon ancien patron, Raymond
Mulphin et de son frère Albert, directeur des beaux-arts.
Raymond Mulphin avait fait son apprentissage auprès de
son père et il excellait dans la réalisation de
décors. Il enseignait aux beaux-arts le cliché
de presse et avait créé un atelier de peinture
et décoration rue Cavaignac. Au début, il faisait
avec sa femme des portraits au pastel.
Il a été le premier décorateur à
créer des affiches monumentales et des véhicules
décorés publicitairement qui sillonnaient les rues
d'Oran pour annoncer les nouveaux films.
Une de ses réalisations : Pour la sortie du film Blanche-Neige,
celle-ci et les 7 nains étaient animés sur la façade
du Rialto
- Son atelier avait une grande renommée
à Oran. J'ai eu la chance d'y entrer tout jeune et de
faire ma carrière jusqu'en 1961.
La décoration était très diverse :
- décors pour les spectacles, les bals des plages et pour
certains petits théâtres de province.
- décoration murale (Hall de l'hôtel Martinez et
les salles du casino de Canastel)
- Glaces décoratives pour les salons dont les sujets étaient
gravés par sablage
- Affiches de cinéma
- Enseignes sous toutes ses formes, banderoles, stores, (Vidal
et Manégat, Covin-Yvose) Coca-cola, les devantures de
magasins, les pancartes, les fourgons publicitaires (Café
Nizière et autres)
- Réalisation de stands pour la Foire d'Oran (plans de
construction pour les menuisiers et peintures de motifs publicitaires
(Kelvinator, Frigidaire, Machines à coudre Necchi, etc..)
J'ai connu les périodes de gloire de la publicité
où nous faisions des affiches pour les cinémas
appartenant à M. Argence : Mogador, Century, Idéal,
Lynx ; la société Sebeirasse : Régent, Rialto
; les frères Tenoudji : Colisée, Rex et le Paris,
bd du 2ème Zouaves.
Les films changeaient tous les vendredis et c'était la
course contre la montre, sachant que chaque salle commandait
une grande affiche de façade, une très grande de
8m X 2,40 affichée sur la palissade qui masquait les travaux
de rénovation de l'école Jules Renard côté
rue d'Arzew + 2 banderoles texte pour le hall et pancartes des
horaires et tarifs.
Là-dessus s'ajoutaient certaines années la foire
d'Oran avec tous les stands à réaliser, les banderoles
et motifs découpés en contreplaqué, tout
cela avec 4 employés.
Certains passaient la nuit jusqu'à 3 heures du matin,
le lit de camp dans l'atelier.
L'affiche n'était pas bien payée. Elle était
peinte sur des chutes de papier journal, appelées "
biftecks ". On s'approvisionnait à l'Echo d'Oran,
ces rames mesuraient 2,50 X 2,50 environ.
La peinture était faite avec de la poudre diluée
avec de la colle de peau de lapin qui se figeait en hiver. Il
fallait réchauffer les pots pour les ramener à
l'état liquide. En été, les odeurs qui se
dégageaient étaient insoutenables. C'était
cette même préparation qu'utilisait le décorateur
de l'opéra.
- De temps en temps, l'opéra
nous commandait des affichettes, une quinzaine pour annoncer
les opéras ou les opérettes.
Elles se composaient d'un titre et des noms des comédiens.
Alors qu'elles étaient déjà affichées
en ville, il arrivait parfois que le commanditaire de l'opéra
vienne en catastrophe nous commander des rubans de papier sur
lesquels étaient peints les noms des artistes, dans des
hauteurs de lettres différentes pour les appliquer sur
ces affiches. Il était confronté à la susceptibilité
des artistes qui n'acceptaient pas qu'un collègue soit
au-dessus de lui ou ait des lettres plus grandes.
Je réalisais aussi les clichés de presse pour les
journaux l'Echo d'Oran et Oran Républicain.
Au cours de mon service militaire, j'avais fait la connaissance
de deux très bons amis qui habitaient le quartier juif,
M. Albert Achor qui vendait des tissus et Paul Corchia, un blond
aux yeux bleus, électricien qui s'était établi
par la suite à Choupot et vendait de l'électroménager.
Albert m'avait poussé dans la transformation et la décoration
des magasins ; j'ai réalisé pour lui le magasin
" Dernier Cri " qui était rue de l'Artillerie,
" Quartier " rue de la Bastille et la décoration
du bar de son beau-frère situé rue du Cercle Militaire.
J'ai aussi réalisé le décor du " Patio
à Angustias " de Gilbert Espinal qui passait à
la TV d'Oran.
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En arrivant à Paris, j'ai rencontré les mêmes
problèmes d'affiches qu'à Oran. Je me suis orienté
vers le technique et suis rentré à la SNECMA comme
dessinateur prospectiviste des pièces composant les réacteurs
du Mirage pour la documentation.
Mon côté artistique a été utilisé
par la suite pour la présentation de la documentation
technique, la réalisation de planches de dessins transformées
en diapos et projetées lors des exposés auprès
de nos clients étrangers dans les salles de l'hôtel
Saint-Jacques, créations de lettres, logos et graphismes
divers.
Le hasard des rencontres m'a permis de réaliser la pochette
de disque et l'affiche d'Alice Dona pour son passage à
l'Olympia en 1984, de même que les illustrations des poèmes
de Louis Amade le parolier de Gilbert Bécaud.
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- A ma retraite, j'ai assuré
des cours de peinture et dessins durant plusieurs années
dans une M.J.C. près d'Evry et réalisé bénévolement
le décor du château de Villeroy pour le spectacle
son et lumière qui se déroulait sur le lac de Courcouronnes.
Mes illustrations sur l'Echo de l'Oranie m'ont amené à
connaître des associations de chez nous pour lesquelles
j'ai réalisé des logos comme par exemple l'association
des anciens élèves du lycée Ali Chekkal.
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Un autre peintre en lettres M. Nahon, avait comme spécialité,
en plus de l'enseigne, de peindre des publicités murales
gigantesques sur le côté des immeubles, sur la partie
brute en pierres apparentes.
Vous devez avoir en mémoire ces grandes publicités
représentant une main tenant un paquet de cigarettes Bastos
ou Job ou marques d'alcool.
C'était un spectacle, il était seul à Oran
à faire cela. Il était assis sur un petit siège
qui était suspendu par un câble descendant de la
terrasse.
Pour économiser ses déplacements, il peignait la
totalité de l'uvre (fond, lettres ou parcelles de
lettres, parcelles de doigts) dans le même mètre
carré et se déplaçait ensuite sur le mètre
carré suivant.
C'était un personnage d'allure bedonnante, souvent en
tricot de peau genre débardeur, portant son échelle,
ses lunettes à grosse monture sur le bout de son nez
C'était un grand bavard, il savait tout et faisait les
choses mieux que les autres.
Il avait fait ses débuts dans les ateliers de décorations
parisiens et en gardait une certaine nostalgie.
Juillet-novembre 2007
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