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JOSEPH ALFONSI, spécialiste en décors
 
 Joseph Alfonsi travaillait au célèbre atelier de Raymond Mulphin qui réalisait les décors et qui a été le premier décorateur à créer des affiches monumentales pour annoncer les nouveaux films. Il nous confie quelques souvenirs.
Octobre 2007
 
 

À Oran je peignais les affiches de cinéma pour plusieurs salles et faisais les décors pour certaines manifestations et petits théâtres.

Un gardien de la paix me revient en mémoire. C'était une vedette des carrefours Bata et tir au pistolet. Il se voulait original en réglant la circulation de façon fantaisiste ; il gesticulait beaucoup, faisait quelques pas de danse, faisait tournoyer son bâton, c'était un spectacle. Les automobilistes étaient affolés ne sachant plus quelle direction prendre et lui, tout fier, de les engueuler et de leur tenir des réflexions vexatoires.
On ne l'a plus revu. Sa hiérarchie a dû le placer à un poste moins agité.
Au carrefour Bata, la police avait innové un système de distribution du passage de véhicules.
Un policier se tenait dans son baquet cylindrique, tenant une tige en fer surmontée d'une pancarte sur laquelle était peint le mot STOP. Il faisait tournoyer cette tige qui était logée dans un support de parasol. Il était protégé du soleil par un parasol portant la publicité COCA-COLA. Il y en avait aussi autour de son baquet.
L'Echo d'Oran en avait fait un sujet de dérision avec photo à l'appui, disant que la police faisait de la pub pour cette société, laissant entendre que la municipalité n'avait peut-être pas les moyens de se payer ce matériel.
Inutile de dire que le lendemain, le flic se trouvait tout seul avec son bâton….
 
J'ai été fort intéressé par l'historique de l'Opéra d'Oran, de son décorateur Mr Joseph Mulphin, père de mon ancien patron, Raymond Mulphin et de son frère Albert, directeur des beaux-arts.
Raymond Mulphin avait fait son apprentissage auprès de son père et il excellait dans la réalisation de décors. Il enseignait aux beaux-arts le cliché de presse et avait créé un atelier de peinture et décoration rue Cavaignac. Au début, il faisait avec sa femme des portraits au pastel.
Il a été le premier décorateur à créer des affiches monumentales et des véhicules décorés publicitairement qui sillonnaient les rues d'Oran pour annoncer les nouveaux films.
Une de ses réalisations : Pour la sortie du film Blanche-Neige, celle-ci et les 7 nains étaient animés sur la façade du Rialto…
Son atelier avait une grande renommée à Oran. J'ai eu la chance d'y entrer tout jeune et de faire ma carrière jusqu'en 1961.
La décoration était très diverse :
- décors pour les spectacles, les bals des plages et pour certains petits théâtres de province.
- décoration murale (Hall de l'hôtel Martinez et les salles du casino de Canastel)
- Glaces décoratives pour les salons dont les sujets étaient gravés par sablage
- Affiches de cinéma
- Enseignes sous toutes ses formes, banderoles, stores, (Vidal et Manégat, Covin-Yvose) Coca-cola, les devantures de magasins, les pancartes, les fourgons publicitaires (Café Nizière et autres)
- Réalisation de stands pour la Foire d'Oran (plans de construction pour les menuisiers et peintures de motifs publicitaires (Kelvinator, Frigidaire, Machines à coudre Necchi, etc..)

J'ai connu les périodes de gloire de la publicité où nous faisions des affiches pour les cinémas appartenant à M. Argence : Mogador, Century, Idéal, Lynx ; la société Sebeirasse : Régent, Rialto ; les frères Tenoudji : Colisée, Rex et le Paris, bd du 2ème Zouaves.
Les films changeaient tous les vendredis et c'était la course contre la montre, sachant que chaque salle commandait une grande affiche de façade, une très grande de 8m X 2,40 affichée sur la palissade qui masquait les travaux de rénovation de l'école Jules Renard côté rue d'Arzew + 2 banderoles texte pour le hall et pancartes des horaires et tarifs.
Là-dessus s'ajoutaient certaines années la foire d'Oran avec tous les stands à réaliser, les banderoles et motifs découpés en contreplaqué, tout cela avec 4 employés.
Certains passaient la nuit jusqu'à 3 heures du matin, le lit de camp dans l'atelier.
L'affiche n'était pas bien payée. Elle était peinte sur des chutes de papier journal, appelées " biftecks ". On s'approvisionnait à l'Echo d'Oran, ces rames mesuraient 2,50 X 2,50 environ.
La peinture était faite avec de la poudre diluée avec de la colle de peau de lapin qui se figeait en hiver. Il fallait réchauffer les pots pour les ramener à l'état liquide. En été, les odeurs qui se dégageaient étaient insoutenables. C'était cette même préparation qu'utilisait le décorateur de l'opéra.
De temps en temps, l'opéra nous commandait des affichettes, une quinzaine pour annoncer les opéras ou les opérettes.
Elles se composaient d'un titre et des noms des comédiens. Alors qu'elles étaient déjà affichées en ville, il arrivait parfois que le commanditaire de l'opéra vienne en catastrophe nous commander des rubans de papier sur lesquels étaient peints les noms des artistes, dans des hauteurs de lettres différentes pour les appliquer sur ces affiches. Il était confronté à la susceptibilité des artistes qui n'acceptaient pas qu'un collègue soit au-dessus de lui ou ait des lettres plus grandes.

Je réalisais aussi les clichés de presse pour les journaux l'Echo d'Oran et Oran Républicain.
Au cours de mon service militaire, j'avais fait la connaissance de deux très bons amis qui habitaient le quartier juif, M. Albert Achor qui vendait des tissus et Paul Corchia, un blond aux yeux bleus, électricien qui s'était établi par la suite à Choupot et vendait de l'électroménager.
Albert m'avait poussé dans la transformation et la décoration des magasins ; j'ai réalisé pour lui le magasin " Dernier Cri " qui était rue de l'Artillerie, " Quartier " rue de la Bastille et la décoration du bar de son beau-frère situé rue du Cercle Militaire.
J'ai aussi réalisé le décor du " Patio à Angustias " de Gilbert Espinal qui passait à la TV d'Oran.
 

En arrivant à Paris, j'ai rencontré les mêmes problèmes d'affiches qu'à Oran. Je me suis orienté vers le technique et suis rentré à la SNECMA comme dessinateur prospectiviste des pièces composant les réacteurs du Mirage pour la documentation.
Mon côté artistique a été utilisé par la suite pour la présentation de la documentation technique, la réalisation de planches de dessins transformées en diapos et projetées lors des exposés auprès de nos clients étrangers dans les salles de l'hôtel Saint-Jacques, créations de lettres, logos et graphismes divers.
Le hasard des rencontres m'a permis de réaliser la pochette de disque et l'affiche d'Alice Dona pour son passage à l'Olympia en 1984, de même que les illustrations des poèmes de Louis Amade le parolier de Gilbert Bécaud.
 
 

 

 

A ma retraite, j'ai assuré des cours de peinture et dessins durant plusieurs années dans une M.J.C. près d'Evry et réalisé bénévolement le décor du château de Villeroy pour le spectacle son et lumière qui se déroulait sur le lac de Courcouronnes.
Mes illustrations sur l'Echo de l'Oranie m'ont amené à connaître des associations de chez nous pour lesquelles j'ai réalisé des logos comme par exemple l'association des anciens élèves du lycée Ali Chekkal.
……

Un autre peintre en lettres M. Nahon, avait comme spécialité, en plus de l'enseigne, de peindre des publicités murales gigantesques sur le côté des immeubles, sur la partie brute en pierres apparentes.
Vous devez avoir en mémoire ces grandes publicités représentant une main tenant un paquet de cigarettes Bastos ou Job ou marques d'alcool.
C'était un spectacle, il était seul à Oran à faire cela. Il était assis sur un petit siège qui était suspendu par un câble descendant de la terrasse.
Pour économiser ses déplacements, il peignait la totalité de l'œuvre (fond, lettres ou parcelles de lettres, parcelles de doigts) dans le même mètre carré et se déplaçait ensuite sur le mètre carré suivant.
C'était un personnage d'allure bedonnante, souvent en tricot de peau genre débardeur, portant son échelle, ses lunettes à grosse monture sur le bout de son nez… C'était un grand bavard, il savait tout et faisait les choses mieux que les autres.
Il avait fait ses débuts dans les ateliers de décorations parisiens et en gardait une certaine nostalgie.


Juillet-novembre 2007

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