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 PINCEES D'HUMOUR
 
 

Rencontre de deux dames rue d'Arzew  Marie-Odile Lopez
Les Cris d'Oran  K. Naris
Ma souriante Algérie des Trois-Baudets Christian Vébel
La parabole (histoire savoureuse vécue à Oran)  Ernest Saval
 C'est joliment dit  


 

 Histoire drôle : Rencontre rue d'Arzew
 
Cependant l'histoire ci-dessous est davantage une scène de rue qu'une histoire drôle, et très représentative
des personnages qui parcouraient notre bonne ville d'Oran.
Je remercie Marie-Odile Lopez de la familia oranaise qui me l'a communiquée. (avec l'accent s'il vous plait !)

     
     A Oran ( où quarante sous ça vaut deux fron) passant juste devant l'Ecole Primaire Jules Renard ( tiens que c'est mon Ecole ! D'ot y diront moi c'est Gambetta, purée, moi c'est.. Et bein moi j'ai choisi : c'est Jules Renard , ouala ), deux dames.
     
    La première qu'elle est élégante toujours habillée aux Nouvelles Galeries, même qu'elle se regarde en marchant dans la vitrine du marchand de régalisse pour s'admirer le jupon. L'ot' c'est madame Tia pépa que celle-là elle a une langue qui lui descend jusqu'aux genoux, chargée comme un bourricot arabe avec son cabasset plein de légumes. Celle-là, à peine elle ouv' la bouche qu'y fait des courants d'air sur la Corniche .
     
    "- Bonjour Mme Levy dit-elle admirative, comment ça va vos enfants ?
     
    L'ot' un peu agacée qu'elle se regardait dans la glace elle se retourne :
       
    - Ah madame Tia pepa, y vont plus que bien : l'aîné y se prépare à faire avocat comme son grand père, le deuxième banquier comme mon père et le troisième médecin.

    Mais voyant que la tia mocosa elle était la bouche ouverte d'admiration elle continue :
       
    - Vous comprenez maintenant, vu l'importance, pourquoi que c'est moi qui vient les chercher à l'école ??..."

 

 
 

  Ma souriante Algérie des Trois-Baudets
 
 
La tournée qui nous amenait à Oran au moins une fois par saison, ou les galas qui nous y appelaient parfois au Grand Théâtre ou au cinéma de la " rue d'Arzew " m'enchantaient toujours. Je crois bien n'avoir jamais vu une ville aussi fertile en jolies femmes.
Circuler à pied dans le centre d'Oran me procurait un éblouissement perpétuel. A peine avait-on croisé un joli visage qu'on en découvrait un autre, puis aussitôt un troisième. Les filles de quinze à vingt-cinq ans possédaient des yeux admirables, des lèvres faites pour le sourire et l'amour, des dents d'émail, un teint rayonnant, des cheveux qui... une taille et une poitrine que... Bref, je renonce à toute description qui n'égalerait jamais la réalité.
On m'a cent fois expliqué ce phénomène par le croisement de différentes races méditerranéennes. D'accord. Mais pourquoi était-ce précisément à Oran que ce croisement donnait une telle profusion de fleurs ?
Cela restera pour moi le plus charmant mystère.
En 1942, j'avais retrouvé à Oran un de mes meilleurs camarades au Quartier Latin qui, tandis que j'y fréquentais la Sorbonne, y " faisait sa médecine".
J'eus la joie de découvrir que non seulement il s'était installé à Oran, mais qu'il avait eu le bon goût d'épouser une oranaise.
Si je n'ai d'Oran et de son public que des souvenirs excellents, je dois reconnaître pourtant que c'est à l'hôtel Martinez que j'eus mon premier lumbago. Encore très jeune, je croyais alors ce genre de malaise réservé aux aïeux, je me trompais.
La veille, nous donnions notre spectacle dans une ville voisine, et au cours de la revue je jouais le rôle du Général de Gaulle. Je me hâte de préciser que c'était avant le " Je vous ai compris " ! Mon apparition était donc chaleureusement accueillie...
Je m'étais fait faire des sortes d'échasses cachées par le pantalon militaire et, grâce à l'entraînement des répétitions, je parvenais à entrer en scène et faire quelques pas sans me flanquer par terre, ce qui était déjà un exploit.
Grâce à ce truquage je dominais tous mes partenaires de quelques vingt-cinq centimètres.
Or la soirée qui précédait donc celle d'Oran, j'avais éprouvé des sensations bizarres dans la région lombaire, et mon de Gaulle avait dû paraître d'une allure plutôt raide et guindée.
Je mettais ces vagues douleurs sur le compte de la fatigue d'une longue tournée, et (délivré de mes échasses gaulliennes) je ne manquai pas ma traditionnelle promenade rue d'Arzew, où, avant de donner un spectacle aux oranais, je n'aurai pour rien au monde raté celui que m'offraient si gracieusement les oranaises.
N'empêche que mes inquiétudes lombaires se précisaient de plus en plus.
Le soir, bien entendu, je jouai (héroiquement !), je soupai après la soirée (héroiquement aussi) et j'allai me coucher, persuadé qu'après une bonne nuit je repartirais d'un pied léger.
Nous nous levâmes assez tôt, car le lendemain nous devions jouer à Casablanca.
Je me vois encore descendre par l'ascenseur et, pendant qu'on portait mes bagages à ma voiture, régler la note au bureau de l'hôtel.
Ma voiture était presque exactement devant la porte. (En ce temps là on se garait facilement !). Je descends les quelques marches menant au trottoir, j'ouvre la portière et je me penche pour m'asseoir au volant... Clac, le " coup de fouet ". Je reste plié en deux, dans l'impossibilité absolue de bouger.
J'appelle. Je demande de l'aide. Personne n'y comprend rien. Moi le premier.
- Mais relève-toi
- Puisque je vous dis que je ne peux pas
- Comment, tu ne peux pas lâcher le toit de la voiture et te mettre debout ?
- Puisque je vous dis que non !
On commençait à s'ameuter. Une équipe de rugby qui était descendue au même hôtel s'approche. Deux colosses bienveillants essaient de me relever. Je résiste. Finalement l'un des assistants déclare : " C'est un lumbago ".
Mes deux anges-gorilles me saisissent avec précaution et, toujours plié en deux, me rentrent dans l'hôtel et me transportent à la chambre que je n'aurais jamais dû quitter.
Et n'oubliez pas que nous jouions toujours le lendemain à Casablanca.
Comment le problème fut-il résolu ! Ma femme, Geneviève Mesnil, téléphona à mon ami médecin, qui fut là quinze minutes plus tard. Il me fit une piqûre du côté des vertèbres et, quand je le remerciai de pouvoir partir pour Casablanca, il me détrompa avec une douce autorité.
- Pas question ! Tu ne peux pas encore bouger. Que les autres partent, toi tu restes au lit, je viendrai ce soir te faire une seconde piqûre et, si demain matin tu arrives à tenir debout, c'est moi qui te conduirai à l'aérodrome pour te mettre dans un avion.
Geneviève partit avec ma voiture et les passagers qui voyageaient avec moi.
Le lendemain matin, aussi fragile et déséquilibré que la Tour de Pise, je fus transporté avec mille précautions jusqu'à l'avion par le docteur. A Casa on m'attendait. Je n'étais plus plié en deux mais je sentais bien que cela pouvait revenir d'une minute à l'autre, et n'osais pas faire le moindre mouvement inutile.
A ce prix je participai le soir à notre revue, mais les spectateurs durent se contenter d'un De Gaulle de la taille de Christian Vebel.
De tout cela je me souviens avec la meilleure humeur du monde ; j'en ris encore, comme ayant réussi tant bien que mal ma prestation de Casa, j'en avais ri.
Malheureusement mon histoire oranaise a fini dans la tristesse.
Lorsque les trois Baudets, avant qu'éclatent la révolution et la guerre d'Algérie, étaient revenus à Paris pour y ouvrir leur nouveau théâtre à Montmartre, j'avais gardé avec mon ami du Quartier Latin de fidèles relations épistolaires.
Moi, sur les scènes de la métropole, je parlais toujours de l'Algérie pour alerter nos compatriotes sur le drame dont ils ne réalisaient pas toujours l'ampleur.
Malgré les rigueurs de cette guerre, mon ami et sa femme " pieds-noirs " conservaient une foi indestructible dans la victoire. Oran, Constantine, Alger, c'était la France et resterait la France. Comme je les comprenais, mais à mesure que le temps passait, mon opinion devenait moins confiante et, hélas, plus réaliste.
Dans ma dernière lettre avant les accords d'Evian, j'osai leur laisser entendre que je commençais à craindre que nous ne puissions plus conserver l'Algérie. Qu'avais-je écrit là !
Par le plus rapide courrier je reçus une réponse, non de mon ami, mais de sa femme.
La lettre commençait par " Monsieur... "
Je compris que ma franchise m'avait fait assimiler à un traître. Quoi ? On pouvait imaginer, on osait dire que cette terre, où dormaient ses grands-parents, ses arrière-grands-parents n'était pas une terre de France ?...
C'était pourtant celle qui m'avait vu naître.
Mes amis ont dû rejoindre l'Europe en 1962. Je n'ai pas eu la moindre nouvelle. J'ai profondément souffert de la perte de l'Algérie, ma maladresse m'a fait, en plus, perdre deux amis, j'espère qu'ils m'ont pardonné.
 
Revue l'Algérianiste n° 67 septembre 1994
 
 
 

LA PARABOLE

La première parabole fit son apparition dans l'angle de la vaste terrasse à l'italienne couronnant l'imposante villa dont le deuxième étage, visible seulement au-dessus du mur d'enceinte hérissé d'une torsade métallique aux pointes acérées, semblait surveiller la rue rectiligne et calme bordée de petites maisons basses, dont les habitants de condition modeste s'étaient d'autant plus habitués au luxe agressif des menuiseries en bois exotique et des colonnes torses encadrant les ouvertures, que son propriétaire jouissait d'une considération respectueuse.
C'était en effet un homme qui faisait du bien ! N'avait-il pas installé, débouchant à même le trottoir, directement branché sur une citerne intérieure, un robinet où les gens pouvaient, les jours de pénurie d'eau, venir s'approvisionner sans interruption, provoquant d'interminables queues bruyantes de bidons entrechoqués et de rythmes sourds des battements de mains sur le flanc des nourrices ? Et le vendredi, n'allait-il pas à la mosquée entièrement vêtu de blanc, symbole de pureté, des babouches à la fine mousseline enveloppant délicatement sa tête et son abondante barbe légèrement teintée de roux, comme celle du prophète ? (Allah répande sur lui ses bienfaits !). Et le jour du Zakat, ne distribuait-il pas son aumône légale à une queue de misérables, où se mêlaient quelquefois des usurpateurs, qu'il dévoilait, et à qui il réduisait sa libéralité en le faisant savoir aux autres nécessiteux ?
Sa charité était peut-être ostentatoire, mais ne diminuait en rien sa réputation d'homme de foi consolidée par plusieurs voyages aux lieux saints. (On ne dit plus La Mecque, c'est péjoratif et de plus, ça fait colonial). Peut-être cette toile de bonté et de religiosité tissée autour du personnage, était-elle aussi un peu destinée à effacer une période un peu trouble de sa vie professionnelle de directeur de société nationale qui le traîna en justice à la suite d'accusations diverses de détournement de biens publics, concussion et autres babioles, au fond indissociables de la fonction.
Dénonciations malveillantes et envieuses, certes, mais il subit les foudres du prétoire. Il se défendit, malgré des preuves accablantes, en particulier la réalité bien tangible de sa construction dont le financement ne pouvait en aucun cas avoir été assuré par son salaire. Il fut jugé. Il fut condamné. Un fourgon cellulaire le conduisit en prison. Une bénédiction pour la presse et les photographes qui avaient enfin un exutoire à l'interdiction de commentaires politiques. Mais dans ce pays, les frères en religion et en politique ne sont jamais abandonnés. Le parti unique déploya sa trame de relations au plus haut niveau et les mosquées, dont on ne sait jamais si les micros des minarets cinq fois par jour vous engueulent ou vous convient, soucieuses de conserver les dons pieux de ce croyant de qualité, se liguèrent pour assurer efficacement sa défense, collaboration qui ne pouvait être qu'efficace dans un système politique où le temporel et le spirituel voyagent dans le même compartiment.
On fit appel. Le jugement fut cassé. Vice de forme et insuffisance de preuves. La villa n'était qu'un bien personnel, il fallait y penser ! Non lieu. Retour avec les honneurs dans la belle villa, où la récente installation de la parabole ne manqua pas de réactiver les fantasmes de la seule rue du quartier qui n'avait pu se relier à un circuit télévisuel, faute d'avoir une hauteur suffisante pour installer cette corolle blanche qui fleurissait sur les terrasses des immeubles voisins, apportant dans les foyers les divertissements de l'Occident, et les informations que la chaîne nationale ne diffusait pas, et que plus personne ne regardait.
 
Ce n'était pourtant pas faute d'avoir tourné le problème en tous sens. Depuis des mois, sous les lampadaires, à l'angle des rues, des assemblées de riverains discutaient, envisageaient, établissaient le coût de l'installation du meilleur système, les difficultés d'achat du matériel à l'étranger ou au marché noir à des trabendos. Mais à chaque fois, on retombait sur la même difficulté : disposer d'une terrasse en hauteur. Un comité fut créé avec un président. Pour les fonds on verrait plus tard. On désigna des jeunes gens de bonne volonté pour écumer le quartier et rechercher une terrasse disponible avec toute latitude pour proposer de faire partie de l'Association.
Travail lent et difficile. Ou les places étaient déjà occupées, ou le collectif des locataires d'un immeuble offrant une possibilité avait des prétentions exorbitantes. Bref, le découragement et un voile de tristesse s'appesantissaient chaque jour davantage sur la rue, lorsque l'un des jeunes revint un soir avec le fils d'un honorable commerçant d'un immeuble à quatre étages qui était disposé à réaliser l'opération. Comme il allait souvent en France pour ses affaires, il lui serait facile d'acquérir le matériel, et ses connaissances en douane, - disait-il avec un clin d'œil significatif -, lui permettraient de payer moins de taxes. Bref, le personnage idoine ! Accord lui fut donné par le comité. La quête commença dès le lendemain : 5.000 DA par foyer, tout compris. Pas de soucis, il s'occupe de bout en bout de l'opération. Cela parut un peu cher, mais combien de temps allait-on attendre encore ?
A partir de là, les réunions sous les lampadaires devinrent plus animées, plus joyeuses, et en aparté les jeunes racontaient les soirées chaudes de canal + que des copains plus chanceux leur rapportaient. Puis le temps passa. On commença à s'inquiéter. Le comité se voulait rassurant, le voyage, la douane, il y avait tant d'obstacles ! Les plus inquiets commencèrent à calculer la somme collectée et s'aperçurent qu'elle était bien supérieure aux installations habituelles. Quand on rechercha la trace de l'homme providentiel, on s'aperçut qu'il avait disparu. On porta plainte, la police le retrouva, le convoqua. Il ne niait rien, il avait simplement des difficultés en douane et il n'avait besoin que d'un peu de délai. Toutefois, l'homme télé providentiel se voulut rassurant. Il vint un matin avec une échelle et un acolyte, tendit quelques mètres de câble et disparut, mais cette fois on ne le retrouva plus. Et le délai s'allongea. Les séances sous les lampadaires devinrent houleuses. Le comité vola en éclats, le président fut viré et l'on consulta un avocat, mais plus personne ne voulut mettre la main à l'escarcelle. La rue sombra à nouveau dans une apathie que l'indignation collective et la colère n'arrivaient pas à dissiper.
On consulta bien sûr le père de l'homme providentiel, mais il se désolidarisait totalement de son fils. Il ne connaissait rien à ses affaires et ne savait même pas où il était. Du reste, il ne fallait pas lui chauffer les oreilles avec cette histoire, son fils étant majeur, il n'était plus civilement responsable. Cela s'appelle de la solidarité familiale.
L'atmosphère s'alourdissait. Ceux qui n'avaient jamais pris une once de responsabilité dans cette affaire accusèrent les membres du comité déchu de s'être laissé berner et de leur avoir fait perdre 5.000 DA, accusation de mauvaise foi puisque tout le monde les avait perdus. De vieilles amitiés se déchirèrent. Là-dessus, les femmes s'en mêlèrent, reprochant à leurs maris de déserter la maison pour aller regarder la télé chez des amis ou parents qui la possédaient. Bien qu'elles ne sortissent jamais à leur avantage de ces confrontations, elles persistaient à les provoquer. N'était la crise du logement, on aurait songé à déménager. Seuls les plus fidèles observateurs du coran, gens pieux, à face de carême encadrée d'une barbe, se précipitant à chaque appel du muezzin, abaya blanche rapidement enfilée sur le vêtement européen semblaient se satisfaire, du moins en apparence, de cette situation. Dieu avait, disaient-ils, étendu sa bénédiction sur les foyers en les empêchant de recevoir les images impies de l'Occident.

C'est à ce moment que l'homme qui faisait du bien réintégra, avec les honneurs qu'il méritait, sa belle villa. Toute la rue se remit à fantasmer, à espérer en portant les regards sur la parabole de la terrasse à l'italienne. Le cauchemar allait prendre fin, c'était sûr. La sollicitude et la bienveillance dont faisait preuve l'homme qui faisait du bien envers ses voisins, ne pouvait refuser que l'on attache le petit fil salvateur sur son installation.

On rediscuta sous les lampadaires pour désigner la délégation la plus susceptible de faire accepter la demande et l'on arrêta la composition théorique à 2 adultes et un enfant, ce dernier pouvant présenter un élément attendrissant dans la conversation. Pour les adultes, on rechercha un pilier de mosquée, mais il fut impossible d'en trouver un seul qui acceptât la mission. La fréquentation des mosquées et le rabâchage du coran doit leur faire perdre tout sens logique, car il était difficile de comprendre leur refus, dès lors que le vendredi, ils enlevaient leurs souliers en même temps que la personne à solliciter, ce qui prédisposait déjà au contact fraternel recherché. On remplaça le rigoriste défaillant par un fonctionnaire à barbe. C'était une barbe de coquetterie, l'homme n'étant pas particulièrement assidu des mosquées, mais comme les barbes laïques offrent souvent des ressemblances avec les barbes religieuses - exception faite, bien sûr, de celles des fondamentalistes, noires intenses, dures, mangeant le visage blême jusqu'aux yeux que je les soupçonne de souligner de khôl pour intensifier le regard purificateur - ou celles aristocratiques, teintées de roux, comme la portait l'homme à circonvenir. On pensa que ce dernier pourrait lui attribuer une connotation religieuse pouvant influencer favorablement sa décision.
Avant la date fixée, il y eut veillée d'armes avec le trio pour étudier le meilleur scénario pour présenter la requête. Il fut conseillé surtout de ne pas évoquer la détention, sauf pour relever, bien sûr, que la justice avait été partiale et manœuvrée par ses ennemis. Le barbu dit qu'il resterait muet sur le terrain religieux, s'il intervenait dans la conversation, car fréquentant la bibliothèque de l'église voisine, ainsi que les curés, - qui ne se risquaient pas à faire du prosélytisme, sauf à émailler leur conversation de références chrétiennes - il ne voulait pas être pris en défaut sur un des innombrables hadiths du prophète (Allah répande sur lui sa bénédiction) que l'homme qui faisait du bien devait connaître par cœur.
 
Les membres du comité, pendant un furtif instant, pensèrent en se regardant qu'ils n'avaient peut-être pas fait le bon choix avec ce barbu qui semblait mieux familiarisé avec les évangiles qu'avec les hadiths. La barbe au henné n'allait-elle pas soupçonner que celle de son visiteur n'était qu'une barbe laïque, peut-être même celle d'un transfuge, ou pire, celle d'un Kafir ? C'est que dans l'imaginaire insolite et surnaturel infiltrant depuis l'enfance, par imams interposés, tout le subconscient de la population, de pareilles suppositions étaient parfaitement admissibles. Mais quoi, il était trop tard pour chercher une autre barbe, c'était celle-là ou rien, les vraies, les barbes religieuses avaient toutes refusé, et avec quel ensemble, cette mission. Alors, va pour cette barbe !
Le lendemain, le commando se présenta devant le portail massif et sonna. Un serviteur aboya à l'interphone. Il fallut décliner l'identité, c'était gênant, et les solliciteurs se sentirent déjà en condition d'infériorité. L'aboyeur ordonna d'attendre, et après avoir été porter le message à son maître, revint et fit passer sans aménité le trio. Que voulaient ces gens-là ? Encore des solliciteurs, des pouilleux qui ne venaient même pas en voiture, des gens de peu comme il en venait tellement. Ah ! Le maître était bien bon de les recevoir. N'importe quel aboyeur, avec n'importe quel maître, dans la même situation, aurait fait intérieurement les mêmes réflexions, tellement la hiérarchie tribale survivait encore dans cette société en mutation.
Le maître reçut fort courtoisement, fit servir le café sur la véranda au dallage de marbre et écouta avec attention les demandes un peu gauches des visiteurs, puis échafauda avec onctuosité une réponse, où comme prévu, se mêlèrent quelques références coraniques pour adoucir sa réponse négative motivée par une impossibilité technique, liée au type de son récepteur qui n'acceptait aucun branchement supplémentaire. Cette vague impossibilité technique semblait avoir été prévue à l'avance, tellement la réponse s'adaptait au problème. Sur un deuxième café, l'entretien prit fin en invoquant le prophète (Allah répande sur lui ses bienfaits !)
Une fois de plus le comité se réunit dans un découragement à la hauteur de l'espoir qu'avait suscité cette ultime démarche. En fait, personne ne croyait à l'impossibilité technique, ce n'était que rouerie du personnage qui ne voulait sous aucun prétexte autoriser des voisins certes, mais étrangers à son milieu et sa famille, à pénétrer dans son sérail. On échangea des considérations désabusées sur le régime qui enrichissait les gens sans scrupules gravitant dans l'orbite du parti, rendant les riches plus riches, et les pauvres plus pauvres, et on disqualifia les plénipotentiaires incompétents
La barbe de coquetterie jura qu'on ne l'y reprendrait plus, mais ne se hasarda pas à dire que dans les évangiles, la parabole était à la disposition du plus grand nombre, ce qui ne semblait pas être le cas dans la société musulmane où celui qui en possédait une refusait de la partager.
Décidément, le sort s'acharnait sur la rue. Toutefois, les amateurs de foot, les amateurs de politique, les amateurs de films - les femmes surtout - et ceux qui ne se déclaraient pas ouvertement pour les soirées érotiques recommençaient à animer les soirées lampadaires. On recréa un comité. On redésigna des enquêteurs, jeunes gens de bonne volonté qui, en s'éloignant de plus en plus de leur point de départ finirent par trouver un collectif d'auditeurs acceptant des branchements supplémentaires sur le 15ème étage d'un immeuble situé à 800 ou 900 mètres de la première maison réceptrice. La distance sembla au comité un handicap impossible à surmonter, mais les techniciens contactés assurèrent qu'il suffirait de placer un relais, espèce de petite boîte noire, sur la terrasse d'une des maisons de la rue pour vaincre la difficulté effectivement créée par l'éloignement.
Coût de l'opération : 5.000 DA par foyer. Décidément, les prix ne variaient pas. Ils devaient probablement être homologués par le service des fraudes et enquêtes économiques de la wilaya, à moins qu'il ne s'agisse plus simplement d'une entente tacite et occulte entre trafiquants de paraboles, profession éminemment respectable et lucrative dont il était difficile de connaître l'activité exacte. Personne ne connaissait leur pedigree professionnel, ni leur installation ; assurément, ils étaient un peu magiciens pour tisser ces lignes de câbles qui faisaient flotter dans le ciel une promesse d'émotion attendue impatiemment le soir dans les chaumières. Ils allaient et venaient dans les rues, un peu comme les " algo vender ", leur réputation flottant dans l'air au gré des références et de la satisfaction des clients qui se chargeaient de leur publicité. Malheur à celui qui ne réussissait pas son installation, le système oral qui propulsait tel technicien au pinacle disqualifiait aussi vite l'incompétent. Ce système, bien sûr, fonctionna pour l'individu qui avait escroqué la rue, mais sans conséquences sur sa moralité puisqu'il s'était volatilisé.
Le souvenir des 5.000 DA escroqués à chaque foyer était encore douloureux. Aussi une nouvelle difficulté surgit avec la crainte de se faire duper une autre fois, bien que ce nouvel installateur soit précédé d'une excellente réputation. Mais toutes les réticences furent levées lorsqu'il proposa d'être payé 15 jours après réception d'une image nette dans chaque téléviseur. Le comité donna son feu vert. On ne pouvait trouver de proposition plus honnête.
Tirer un câble sur 800 mètres, lui faire traverser une avenue, des rues, passer au-dessus des arbres, des lignes électriques et téléphoniques était considéré comme un exploit un peu mystérieux, en tout cas en marge de la technique d'installation d'antennes. Le câble arriva et il fallut trouver une terrasse pour poser la boîte relais. Nouvelle difficulté imprévue : les habitants des maisons individuelles étaient tous réticents, craignant que ce relais ne nécessite des interventions, en cas de panne, avec pour conséquence les passages de techniciens étrangers dans leur habitat. Somme toute, le même raisonnement que l'homme qui faisait du bien. Devant l'ultime obstacle à l'arrivée de l'image, il se trouva quand même un jeune couple compréhensif qui prêta sa terrasse. Le malheureux était loin de se douter des conséquences que cette décision de courtoisie envers ses voisins allait lui valoir par la suite.
 
Tout se passa comme prévu. L'image arriva dans de bonnes conditions, la rue retrouva sa bonne humeur. Les techniciens furent payés avec la garantie de leur intervention gratuite au moindre dysfonctionnement, ce qui ne tarda pas, et il fallut intervenir sur la fameuse boîte en se présentant chez la jeune femme en l'absence de son mari. La panne fut rapidement détectée et les émissions reçues immédiatement cédèrent la place le soir, à de nouveau un écran noir, tandis qu'une animation anormale et un attroupement tumultueux s'opérait à hauteur de la maison où était la boîte relais. En fait la boîte n'était plus sur la terrasse. Elle gisait éventrée, laissant voir, éparpillées sur le bitume, de jolies petites pièces multicolores dont la fonction était de transmettre des images, et non de terminer stupidement une carrière à peine entamée.
Ce cataclysme était en fait le résultat d'un drame de la jalousie. La jeune femme, peut être influencée par certains discours sociaux prônant l'abolition d'un code de la famille rétrograde, mais bien implanté dans le système politique, et aussi par habitudes remontant à la nuit des temps, dans les mœurs, autorisa le technicien à traverser son logement pour monter sur la terrasse. Elle aurait dû, suivant la coutume, demander l'autorisation à son mari, mais comment aurait-elle pu le faire puisqu'il n'était pas là et que le technicien n'était pas précisément attendu ! Ce concours de circonstances déclencha chez le mari, lorsqu'il rentra de son travail, une intense contrariété qui se mua très vite en soupçon, lequel se transforma immédiatement en certitude d'adultère. Il a fallu à Tolstoï un bouquin entier pour décrire, dans un interminable voyage en chemin de fer, éclairé par des lampes à huile, au travers de steppes glacées et entrecoupé d'innombrables tasse de thé brûlant, la douloureuse implantation des crocs de la jalousie dans un être envahi d'ignobles soupçons sur sa femme qui, dans une lente descente aux enfers, vont le transformer en un vulgaire assassin à l'arme blanche.
Ici, en 10 minutes tout était consommé. Pas d'hésitation, ni de torture de l'âme à la recherche obsessionnelle de la preuve. La jeune femme reçut une trempe, (Le coran permet et même recommande) hurla plus que de raison pour bien informer le voisinage, mais ne fut pas assassinée. Le drame s'arrêta aussi brutalement qu'il avait commencé.
 
Pour la communauté, cet incident se traduisit par quelques jours d'écran obscur - le temps de racheter une autre boîte - que l'on installa cette fois-ci chez un couple d'âge mûr, ce qui supprimait tout risque de drame passionnel, au cas où cette satanée boîte recommencerait ses plaisanteries. Mais ce mini-drame déclencha sous les lampadaires, une espèce de querelle, au sens philosophique, des anciens et des modernes.
Au 17ème siècle, ces querelles s'appliqueraient sur des textes. Et quels textes ! Tous ceux qui du fond des premiers balbutiements de l'humanité ont fait ce que nous sommes. Sous les lampadaires, les bases s'appliquaient uniquement sur le droit coutumier, une loi coranique absurde, les traditions orales, et le peu de connaissance que l'on avait de quelques tentatives de transformation de la société que certains homme politiques, dans une timide opposition, essayaient de faire passer en contradiction formelle des mœurs séculaires. Les " anciens " même si c'étaient des jeunes gens, approuvaient le mari frappeur, il était maître chez lui ; les " modernes ", jeunes et vieux le condamnaient, les vieux se donnant bonne conscience à peu de risques, sachant bien que la transformation de la société ne serait pas pour la semaine prochaine. Mais enfin, le fait qu'on acceptât d'en discuter pouvait laisser espérer qu'un jour, on ne battrait plus les femmes pour un coffret électronique.

C'est toujours une entreprise hasardeuse de terminer une relation vécue. Le lecteur peut imaginer un dépassement de la réalité, auquel cas l'auteur n'a pas atteint son but. Il n'y a aucune inexactitude dans ce récit.C'est ainsi que Mohamed (Allah répande sur lui… voir plus haut) est l'envoyé d'Allah et c'est ainsi qu'Allah est le plus grand.

Ernest Saval, 19.04.1998
 
 

Les cris d'Oran
 
C'est d'abord les petits yaouleds qui viennent de 5 à 6 heures du matin troubler votre sommeil. Ils ont différentes manières de crier L'Echo d'Oran :
L'Icon d'Oran, l'Icôn….ôn… d'autres tout simplement l'Kôôô.
Les mêmes yaouleds, criant les différents journaux d'Oran : Dimandi le Mostique oranais qui fi rigoli ! Le Libérâr…âr…âr ! La R'vue Mandine..ine ! Le P'tit Marsi.. i…i…i…L'Eville !
Qui n'a pas eu les tympans brisés, par la voix du chaudron percé, du camelot qui vient jusque sous votre nez vous offrir ses journaux, en beuglant…L'P'tit Oranais ! dernières dépêches qui sont arrivées ! lisez ça qui s'est passé ! et vous annonçant des fausses nouvelles en même temps.

Le même vendant le Fanal, Le P'tit Fanal oranais, le citoyen Bizi y la resucité. C'est Pinguet qui la fait, etc… Je préfère encore entendre le roi des camelots oranais.
Demandez le P'tit Journal, l'Echo de Paris, la Libre Parole, l'Intransigeant qui viennent de paraître, demandez.
A peine Phoebus a-t-il daigné se montrer, que de tous côtés l'on entend, nasillardes la voix de quelques marchands.
Des pom… des pou…oumme, des pou…ares, di zarécots ten…dre…di pom di tirre noville… A la buena cavalla
un peu plus fort, la sardina fresca, la sardina veritable.
Un peu plus loin, l'on se figure entendre un chat que l'on étranglerait : di zamande griééé… A un coin de rue… Al buen refresco, agua limon…
Au café, lorsque vous faites tranquillement la manille : Di bon poisson, di zouefs di bonite. Qui tire un coup ?... qui gagne ? voilà le gagnant, deux sous le coup… Di joulie cartes, di cartes postales à un sou, à un sou. Vos en voli…

Dans une ruelle, un sac plié sur l'épaule, un vieux turban gueule : Algo vender…er…er ; Quix soje à ven…endre ; son inséparable associé, avec un rythme parfait : Boteillas, ropa, hierro, algo vender.
Poussant une brouette, ou traînant un bourricot un vieux ou une vieille djarretté… Cacaouet…et…por…or…trapos.
Sur l'épaule un ballot de tissus et à la main un panier rempli de toutes sortes de marchandises, Al buen barato, à acho, à ocho el metro, quien quiéré, quien quiéré. A 29 sous, à 29 sous li canotier qui vaut quatre francs cenquante, profitez, profitez…

A l'intérieur d'un magasin de déballage, la bande noire entre eux : Yacob, sabes qui n'zallons fire faillite. Abre l'oho, ti vende pas cite prix, ifface, ifface la marque y mettez on otre prix. Mira, mira cette vieille madame. Attention no t'enganas, pidé lé plus cher, y deha lo mas barato… Au public : Entri, rentri voir la faillite de madame Gascar, moitié prix… rentri, rentri.
J'oubliais de parler des cris d'Oran les plus agréables à l'ouïe. Lorsque vous êtes assis à la terrasse d'un café et que vous appelez le garçon, vous entendez aussitôt une voix… trop connue… Viens poupoule… viens… Si vous avez l'air de rechigner sur cet air, le chanteur reprend : Quand j'entends les chansons, ça me rend polisson… Furieux, vous dites à votre voisin qu'on ne peut pas rester deux minutes tranquilles, dans ce café, et vous manifestez l'envie de déguerpir. Aussitôt un autre chanteur s'approche et vous corne : Ah ! ah ! qu'l'envie m'démange d'aller en vendange ! Aussitôt il vous tend la main pour quémander, mais comme c'est le …ième de la matinée, vous vous récriez : Ah ! m… alors, on ne me le refait plus.
Et comme s'il se moquait de vous, l'autre reprend : Je te l'ai fait, je te l'ai refait, une fois, deux fois…
Vous partez furieux, pour revenir le lendemain et entendre les mêmes voix criardes de chaudrons percés.
Tels sont les cris dont les Oranais sont gratifiés du 1er janvier à la Saint-Sylvestre.
K. NARIS
Le Loustic oranais, octobre 1906
 
 
 
 

C'est joliment dit
 

Les problèmes des boulangers sont croissants ...
Alors que les bouchers veulent défendre leur beefsteak ,
les éleveurs de volailles se font plumer ,
les éleveurs de chiens sont aux abois ,
les pêcheurs haussent le ton !
Et bien sûr , les éleveurs de porcs sont " dans la merde " ,
tandis que les céréaliers sont "sur la paille".
Par ailleurs , alors que les brasseurs sont sous pression ,
les viticulteurs trinquent .
Heureusement , les électriciens résistent .
Mais pour les couvreurs , c'est la tuile et certains plombiers prennent carrément la fuite .
Dans l'industrie automobile , les salariés débrayent , dans l'espoir que la direction fasse marche arrière .
Chez EDF , les syndicats sont sous tension , mais la direction ne semble pas au courant .
Les cheminots voudraient garder leur train de vie , mais la crise est arrivée sans crier gare , alors ...
Les veilleurs de nuit , eux , vivent au jour le jour .
Pendant que les pédicures travaillent d'arrache-pied ,
les croupiers jouent le tout pour le tout ,
les dessinateurs font grise mine ,
les militaires partent en retraite ,
les imprimeurs dépriment
et les météorologistes sont en dépression .
Les prostituées , elles , se retrouvent à la rue . Amis , c'est vraiment une mauvaise passe ......... .
 
 
 
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